domaine royal ou domaine de la Couronne
En France, ensemble des terres et des droits appartenant au roi en tant que seigneur et souverain.
1. L'extension progressive du domaine royal du vie au XVI e siècle
1.1. Mérovingiens et Carolingiens
Les premiers Mérovingiens (vie siècle) se constituent un vaste domaine personnel, en s'emparant du fisc impérial en Gaule (plus d'un millier de villae éparses à travers le pays), et vivent des revenus, essentiellement agricoles, de ces domaines. L'économie monétaire et l'impôt ayant disparu au cours du vie siècle, les rois rétribuent leurs fidèles par des dons de domaine. Cette pratique entraîne l'appauvrissement et donc l'affaiblissement de la dynastie mérovingienne.
Les Carolingiens connaîtront la même évolution ; de plus, les invasions du ixe siècle et l'ambition croissante des grands provoquent un morcellement régional du royaume. Dès la fin du ixe siècle, les représentants du roi, marquis et comtes, usurpent l'essentiel des droits régaliens et les villae royales situées dans leur ressort, puis ils sont à leur tour victimes d'un morcellement analogue au profit de moindres seigneurs ; c'est notamment le cas du duc des Francs, Hugues Capet, qui, lorsqu'il accède à la royauté (987) et fonde la dynastie capétienne, dispose d'un domaine (régions de Paris, d'Étampes, d'Orléans et de Compiègne) qui ne couvre guère plus de surface qu'un département actuel (environ 7 000 km2) et comporte de multiples enclaves, seigneuries laïques ou ecclésiastiques ; mais c'est un ensemble plus cohérent et plus facile à surveiller que le domaine des dynasties précédentes.
Quatre grandes prévôtés
Ce nouveau domaine royal, où se confondent biens privés et revenus publics, est divisé à la fin du xie siècle en quatre grandes prévôtés : Paris, Étampes, Orléans, Sens. Les prévôts rendent la justice en l'absence du roi et perçoivent les redevances seigneuriales. Si Robert le Pieux annexe la Bourgogne à l'extinction de la dynastie locale (1002), son fils Henri Ier l'inféode à son frère Robert, créant ainsi la première dynastie apanagée (→ apanage) [1032]. Robert le Pieux a déjà rasé plusieurs châteaux appartenant à des vassaux pillards enclavés dans le domaine royal ; Philippe Ier (1060-1108) entreprend de le prolonger au S. de la Loire. Louis VI (1108-1137) passe la majeure partie de son règne à lutter contre les dangereux barons de l'Île-de-France (Montlhéry, Puiset, Coucy). Le domaine royal en sort unifié, mais la même évolution se produit alors dans la plupart des grands fiefs, renforçant les grands vassaux du roi.
Philippe Auguste et Louis VIII : un domaine royal multiplié par quatre
L'apparition de la suzeraineté royale, qui marque essentiellement le règne de Louis VII, permet à son fils Philippe Auguste (1180-1223) de décupler son domaine : héritage de la Picardie, ou, plus exactement, de plusieurs comtés et châtellenies picards (traité de Boves, 1185) et surtout annexion des possessions des Plantagenêts de 1203 à 1205 (→ Normandie, Maine, Anjou, Touraine, Poitou, etc.).
Son fils Louis VIII (1223-1226) prépare l'annexion de Beaucaire, Nîmes, Béziers, Carcassonne, reconnue au traité de Paris (1229), dont les termes rendront possible, en 1271, celle du comté de Toulouse. Enfin, préparée depuis 1284, l'incorporation de la Champagne et de la Brie au domaine ne devient définitive que par les deux actes de 1335 et de 1361.
En fait, l'extension du domaine royal avait pratiquement cessé à la mort du dernier des Capétiens (1328), la cession du Dauphiné à l'héritier de la Couronne de France ne pouvant être considérée juridiquement comme une incorporation à ce domaine (1349), non plus que la possession temporaire du duché de Bourgogne (1361-1363), apanagé aussitôt à Philippe le Hardi, fils de Jean II. Louis XI, libéré de la guerre anglaise, renoue avec la politique de ses prédécesseurs en procédant successivement aux annexions de la Cerdagne et du Roussillon (1463), du duché de Bourgogne (1477), puis du comté de Provence (actes de 1481 et de 1486).
Ainsi, à la fin du xve siècle, seule, ou presque, la Bretagne reste, pour peu de temps, en dehors du domaine royal.
1.2. Conséquences administratives
Cette extension a très tôt eu pour corollaire de profondes transformations d'ordre administratif : pour surveiller les prévôts, Philippe Auguste envoie des inspecteurs, qui vont se fixer : baillis dans le Nord, sénéchaux dans le Midi.
Un siècle plus tard, la chambre des comptes apparaît pour vérifier les revenus du domaine versés par les officiers. C'est d'ailleurs grâce à ces revenus du domaine royal (ou Ordinaire) que la monarchie peut vivre : ils sont très divers, liés pour une part à l'exercice des droits régaliens du souverain (taxes de toute sorte : régales, dîmes inféodées, etc.) ou de suzeraineté (relief, aide aux quatre cas), auxquels viennent s'ajouter les revenus de la terre (cens, lods et ventes), les redevances perçues sur les paysans à titre personnel (chevage), les confiscations dont sont frappés les usuriers, ou encore les revenus des contrats de pariage conclus avec des seigneurs ecclésiastiques, qui cèdent une partie de leurs droits pour mieux assurer la perception du reste.
Enfin, la royauté accroît son autorité en empiétant sur la justice seigneuriale et en diminuant l'autonomie communale, la bourgeoisie se montrant incapable de gérer les finances municipales.
Pourtant, malgré cet effort considérable pour étendre le domaine aux dimensions du royaume, les souverains n'hésitent pas à le dilapider en aliénant ses divers revenus et en multipliant les apanages, dont la pratique a été systématisée à partir de Louis VIII. Le testament de celui-ci permet la création des trois apanages d'Artois (1227), de Poitou (1241) et d'Anjou (1241). Ses successeurs, rendus prudents par cette expérience, ne constituent que des apanages de faible ampleur territoriale, tout au moins jusqu'à Jean le Bon, qui en forme trois pour ses trois fils : Anjou (1360), Berry (1360) et Bourgogne (1363). Cette dilapidation du domaine royal aurait même abouti à son démembrement total si, par un heureux concours de circonstances, les apanages n'avaient fait retour à la Couronne, faute d'héritiers mâles, ou si les apanagistes eux-mêmes n'avaient accédé à la Couronne de France, tels les Valois en 1328.
2. Des Valois aux Bourbons
2.1. L'assimilation
Avec la réunion de la Bretagne (1532), si jalouse de son autonomie, se pose le problème de l'assimilation. Les souverains, qui, depuis le xiiie siècle, empiètent aussi au-delà des frontières du royaume, vont se montrer souples ; les dernières provinces annexées conservent leurs états particuliers, qui ont le privilège de fixer et de répartir les impôts. Les intendants de Louis XIV ménagent particulièrement les provinces qui ne parlent pas le français, Alsace (réunie en 1648), Flandre (→ traités de Nimègue, 1668), et celles-ci s'attacheront profondément à leur nouvelle patrie.
2.2. Les revenus
La politique de rassemblement des terres des premiers Capétiens, de suppression des grands fiefs à l'époque des Valois, d'annexion de provinces étrangères sous les Bourbons a, par l'intermédiaire du loyalisme monarchique, créé la nation française, avec son patriotisme et sa cohésion profonde. Depuis qu'aux xive et xve siècles, l'impôt (→ taille, aides), ressource « extraordinaire », a été imposé à l'ensemble du royaume, les revenus du domaine (droits fonciers ou féodaux), appelés ordinaires, ne représentent plus qu'une faible partie des ressources du souverain.
2.3. Domaine casuel et domaine fixe : l'inaliénabilité
Loi fondamentale du royaume, l'inaliénabilité du domaine fut codifiée par les ordonnances de Moulins (1566) et de Blois (1579), selon lesquelles le domaine casuel (biens acquis par le roi) pouvait être aliéné par le souverain pendant dix ans ; mais, au terme de ce délai, il était joint au domaine fixe, inaliénable. Toutefois, des aliénations pouvaient être consenties soit pour constituer des apanages, soit pour subvenir, en cas de guerre, à des nécessités financières impérieuses. Dans ce cas, un créancier (l'engagiste) recevait provisoirement une partie du domaine que le roi pouvait toujours racheter.
De nombreuses parties du domaine royal furent ainsi aliénées par la royauté pendant les guerres de Religion. Le rachat du domaine engagé fut l'œuvre de Sully. Aux xviie et xviiie siècles, malgré les mesures législatives prises pour les révoquer, des aliénations furent consenties, tantôt par faveur tantôt pour des raisons financières, au profit d'églises, de communautés religieuses, de seigneurs de la cour, d'hommes d'affaires ou de spéculateurs. Aussi, à la fin de l'Ancien Régime, les cinq sixièmes du royaume formaient-ils des domaines distincts de celui de la Couronne, sur lesquels le roi n'avait pas de seigneurie et n'exerçait que le droit de souveraineté.