analyse du discours
Discipline connexe de la linguistique qui étudie la structure d'un énoncé supérieur à la phrase (discours) en le rapportant à ses conditions de production.
Cette expression désigne un champ particulier, né en France de la rencontre entre la linguistique et d'autres sciences humaines, notamment l'histoire et la sociologie. C'est en avril 1968, au premier Colloque de lexicologie politique de Saint-Cloud, que le linguiste français Jean Dubois ouvrait la perspective de l'analyse du discours à partir d'un article du linguiste américain Z. Harris, Discourse analysis (1952).
Dès l'origine, un certain nombre de positions sont communes aux chercheurs français de ce domaine. On ne peut analyser un discours sans le rapporter à ses conditions de production : un discours est toujours pris dans une situation de communication inscrite elle-même dans une conjoncture historique caractérisée par des cadres institutionnels, des appareils idéologiques, des rapports de force au sein d'une formation sociale donnée, etc. Le rapport aux conditions de production implique des études comparatives. Dans ce cadre très général, plus que l'étude du vocabulaire, c'est l'approche syntaxique qui caractérise l'ancrage de l'analyse du discours dans la linguistique. Ainsi, des premiers travaux qui ont porté sur les cahiers de doléances de 1789, sur le discours de J. Jaurès, sur le congrès de Tours ou encore sur la guerre d'Algérie se dégage une démarche type. Elle comporte d'abord la constitution d'un corpus ; le chercheur délimite un ensemble de textes jugés représentatifs : par exemple la presse française à propos de la guerre d'Algérie, les discours de Robespierre pour le jacobinisme, les professions de foi des candidats à l'élection législative de 1973 pour le discours de propagande politique. En fait, on ne retient que l'ensemble des phrases constituées autour de mots dits « pivots » : par exemple les phrases comportant les noms Algérie, France et les adjectifs algérien, français pour le discours de la guerre d'Algérie; peuple et révolution dans le discours robespierriste; socialisme chez Jaurès. Dans un second temps, l'analyste a recours à des procédures syntaxiques qui permettent de mettre en évidence certaines régularités du corpus. En s'appuyant sur les règles d'équivalence ou transformations proposées par Harris (par exemple, il y a équivalence grammaticale entre la suppression des hautes justices et les hautes justices sont supprimées), il peut assigner aux diverses occurrences du mot pivot une même place syntaxique. Il constitue parlà des classes d'équivalence, c'est-à-dire des paradigmes d'éléments définis par le même environnement. On peut alors aboutir à une ou plusieurs phrasesde base qui résument en quelque sorte le ou les discours : ainsi les droits féodaux X seront supprimés et les droits féodaux Y seront rachetés dans les cahiers de doléances de 1789. De même le peuple est souverain dans le discours girondin face à le peuple souverain fait la révolution dans le discours montagnard.
Au-delà de la description des énoncés, l'analyse du discours a très vite pris en compte tout ce qui, dans le discours, est trace du locuteur, ainsi les pronoms je/tu, le temps des verbes ou les modalités, tout ce que Benveniste désigne comme l'appareil formel de l'énonciation. Par exemple, le rapport je/nous/vous dessine des configurations différentes dans les discours affrontés des deux candidats à la présidence de la République lors du débat télévisé de mai 1974. De même, dans la conjoncture du Front populaire (mai 1936), le discours de L. Blum, marqué par l'emploi du je, l'abondance des adverbes, les modalisations, contraste avec le discours de M. Thorez, pauvre en marques énonciatives.
La démarche ainsi décrite ne préjuge pas des contradictions et des affrontements entre chercheurs ; les divergences, plus théoriques que méthodologiques, touchent à la question du rapport entre la langue et l'histoire. Trois configurations se dessinent. Autour de M. Pêcheux s'est élaborée une théorie du discours en relation avec les débats des années 70 sur le poids des idéologies dans une formation sociale : dans cette perspective, une position est sans cesse réaffirmée, le nécessaire point de vue matérialiste sur la langue et l'histoire. J.-B. Marcellesi et le groupe de Rouen inscrivent l'analyse du discours dans la sociolinguistique et postulent l'unité profonde des pratiques linguistiques et des pratiques sociales. Avec R. Robin, l'analyse du discours interpelle les historiens, trop souvent indifférents à l'épaisseur des textes ; la matérialité discursive devient objet de l'histoire à travers la description de stratégies discursives d'affrontement et d'alliance, tout particulièrement à la veille de la Révolution française. Dans tous les cas, il faut noter l'importance des références au marxisme dans les débats sur l'analyse du discours.
L'analyse du discours, ainsi définie par son noyau central, est loin de recouvrir un champ où de nombreuses disciplines cherchent à se tailler un territoire. Il devient de plus en plus évident qu'elle constitue une réponse à des questions posées de divers lieux, voire de la linguistique. La syntaxe, traditionnellement limitée à une grammaire de phrases, tend à éclater en une grammaire du discours. La lexicologie et sa version statistique, la lexicométrie, donnent à l'énonciation une place toujours plus grande. Certains sémanticiens, notamment O. Ducrot, travaillant dans le cadre de la pragmatique anglo-saxonne, s'orientent vers l'étude discursive de l'argumentation. La théorie de la communication, d'un tout autre horizon, a su utiliser les capacités de l'analyse du discours à décrypter le message politique.À l'opposé d'une démarche qui se fonde sur les évidences du sens commun, des psychanalystes, comme P. Legendre, reprennent, pour les subvertir, les approches discursives du texte juridique. Avec le mouvement actuel de redécouverte de l'archive, l'historien est de plus en plus sensible à l'efficacité de certaines procédures linguistiques : dans un travail minutieux de mise en rapport des données, il peut s'appuyer sur des tableaux d'équivalences ou de relations paraphrastiques. À l'instar du sociolinguiste américain Labov, des sociologues et des psychologues, longtemps séduits par l'analyse de contenu, utilisent les techniques de l'analyse du discours pour étudier les fonctionnements discursifs dans l'enquête, le dialogue, la conversation. Roland Barthes, enfin, symbolise d'autres confins de l'analyse du discours où s'intriquent les recherches littéraires, rhétoriques et sémiotiques.