Le XVIe congrès du PC chinois
Préparé par des débats houleux, le XVIe congrès du PCC, qui se tenait du 8 au 14 novembre à Pékin, a porté un coup décisif aux derniers vestiges du maoïsme en s'ouvrant aux patrons capitalistes.
Cette ouverture, qui traduit les mutations de la société chinoise, marque le triomphe de l'orientation imprimée au parti par son leader, Jiang Zemin, qui passait la barre, comme prévu, à Hu Jintao, représentant d'une nouvelle génération de dirigeants. Pourtant, si le PC a démontré sa volonté de ne pas rester à la traîne de la société, il sera contraint de s'adapter à ses exigences en vue d'une réforme du système politique, dont il exclut pour l'heure toute démocratisation.
Un débat houleux
En juillet 2001, à l'occasion du 80e anniversaire du Parti communiste chinois (PCC) dont il est secrétaire général depuis treize ans, le président Jiang Zemin annonçait solennellement une grande réforme du parti. Accueillie avec une relative indifférence par les Chinois qui – en butte aux difficultés liées au grand bond en avant vers l'économie de marché quand ils n'ont pas su, comme une minorité d'entre eux, en tirer profit – se sentent peu concernés par les débats idéologiques d'un parti tendant à se couper de sa base, cette perspective a mobilisé la classe dirigeante à l'approche du XVIe congrès. Les préparatifs en seront marqués par de vives oppositions, qui ont porté moins sur le principe consensuel d'une poursuite des réformes confirmant l'ouverture du pays à la communauté des nations, que sur les modalités et le rythme de ce processus, et surtout sur le choix des dirigeants chargés de le mener à bien, auxquels Jiang Zemin devait passer le relais. Entre-temps, la Chine a été admise en novembre 2001, au terme d'une longue procédure, au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), une admission qui montrait que le pays a bien pris en marche le train d'une mondialisation dont la dynamique irrépressible, avec ses incidences déjà manifestes sur une société chinoise en pleine mutation, interdit au régime de faire machine arrière. Marginalisé, le dernier carré de nostalgiques de la Révolution culturelle mène un combat d'arrière-garde sans effet sur un débat opposant les partisans d'une refonte plus radicale du système économique, sinon politique, aux gardiens, certes de moins en moins influents eux aussi, d'un « socialisme » dont ils voudraient que les « caractéristiques chinoises » soient affirmées davantage dans le respect du marxisme-léninisme. Les premiers seront déçus. Marquant le triomphe de la ligne imprimée par Jiang Zemin, la grande réforme entérinée lors de ce congrès bousculera les derniers piliers du dogme maoïste en ouvrant les rangs du PCC aux patrons d'entreprises privées. Cette ouverture sacrilège, confirmant la victoire des « cols blancs » sur les « cols Mao » des paysans et des ouvriers, dessine les contours d'un « capitalisme aux caractéristiques chinoises », reléguant au musée le parti de Mao qui s'appuyait sur une paysannerie aujourd'hui laissée sur le bas-côté de la route d'une modernisation profitant surtout aux villes.
Un grand écart idéologique
Les hiérarques communistes ont enfin pris acte de l'émergence, à la faveur de l'ouverture économique engagée au début des années 1980, d'une classe moyenne à laquelle ils se résignent à concéder quelques responsabilités politiques en échange du rôle majeur qu'elle s'est vu accorder dans le développement de l'économie. C'est donc sous la pression d'une société qui s'est engouffrée dans la brèche ouverte par son accession à l'entreprise privée que le PCC a dû effectuer ce grand écart idéologique, au risque sinon de se laisser dépasser par une évolution des comportements sociaux inspirés par la mondialisation. De fait, les dirigeants communistes sont déjà dépassés par les événements, et ils se sont contentés de s'adapter à une réalité sociale qu'ils ne pouvaient plus appréhender en termes de classes, mais de couches sociales, terminologie aux résonances moins conflictuelles. À soixante-seize ans, au moment de quitter – partiellement – la scène, Jiang Zemin se flatte d'avoir marqué l'histoire de son parti et de son pays avec sa doctrine des « trois représentativités », selon laquelle le parti doit représenter les « forces productives les plus avancées », la « culture la plus avancée » et les « intérêts des larges masses », inscrite désormais dans la constitution du PCC. Mais l'héritier du « grand timonier », qui passait la barre comme prévu à Hu Jintao, s'est contenté de naviguer à vue, pour ne pas rester à la traîne d'une société civile qui s'exprime déjà à travers tout un réseau associatif, faute de pouvoir occuper un terrain politique miné depuis la répression de Tian' anmen en 1989, qui a coupé court à toute forme d'opposition. Son successeur, qui ne passe pas pour être un grand réformateur, ne pourra davantage redonner sa fonction de moteur de la société à un parti qui s'est condamné à jouer un simple rôle de représentant et de régulateur en excluant toute démocratisation du système politique. Les réformes économiques, à l'origine d'une restructuration accélérée du secteur d'État qui ne représente plus que 40 % du paysage industriel, ont provoqué une hausse brutale du nombre des chômeurs (4,5 % selon les chiffres officiels, de 8 % à 20 % selon d'autres estimations), que le marché du travail, saturé aussi du fait d'un exode rural croissant parmi les 900 millions de paysans, ne peut absorber. Cette situation de crise, aggravée par l'absence d'organismes publics en mesure d'y faire face, se traduit par un climat social explosif, laissant le champ libre aux démocrates dissidents jusque-là marginalisés. Dans ce climat social délétère, le PCC, discrédité par une corruption qu'il ne combat que depuis peu, ne peut repousser indéfiniment la mise en œuvre d'une autre grande réforme qui le verrait accepter les règles de la concurrence, politique cette fois. Tenu par ses responsabilités devant la communauté internationale depuis son adhésion à l'OMC, qui lui a imposé des contraintes et des règles, le régime communiste devra ainsi trouver d'autres solutions que la répression.