Un nouvel ancêtre tchadien
Il a été découvert ou Tchad en juillet 2001, mais la publication de cet événement, dans la revue Nature, pouvait bien attendre une année supplémentaire : Sahelanthropus tchadensis serait en effet vieux de quelque sept millions d'années...
Cet âge vénérable en ferait aujourd'hui le plus ancien fossile préhumain mis au jour. Qui plus est, sa découverte vient confirmer la remise en cause, déjà amorcée, de la théorie selon laquelle le berceau de l'humanité se situerait en Afrique de l'Est. Avec lui, Homo sapiens hérite d'un nouveau prétendant au titre d'ancêtre originel.
Longtemps théâtre de guerre, le Tchad sera-t-il bientôt connu comme le berceau d'un « espoir de vie » ? Toumaï – « Espoir de vie » dans la langue goran parlée dans la région – est le surnom donné aux fragments fossiles de ce nouveau « plus ancien ancêtre de l'homme » qui ont été découverts dans le désert du Djourab, au nord du pays. Plus précisément sur le site de Toros-Menalla, exploité par la mission paléoanthropologique franco-tchadienne dirigée par Michel Brunet, membre du CNRS et chercheur à l'université de Poitiers. Désireux de rompre avec l'environnement du site voisin de Koro-Toro qu'il occupait précédemment et où règne une intense activité de fouille, Michel Brunet a fait le choix du secteur de Toros-Menalla. Il décrit le décor dans lequel il a travaillé comme une « zone d'une platitude désolante, rompue seulement par des dunes de sable qui voguent au gré des vents ». L'emplacement d'un site n'est jamais le fruit du hasard, encore moins celui d'un caprice. Il se détermine à l'aide de photos prises par satellite, du témoignage des voyageurs et des autres chercheurs de terrain.
Taung, Lucy, Abel, Toumaï
Michel Brunet connaît la région. En 1995 déjà, sur le site de Koro-Toro, son équipe a mis au jour un fragment de mâchoire d'Australopithecus bahrelghazali, surnommé Abel, le premier hominidé découvert en Afrique de l'Ouest, vieux de 3 à 3,5 millions d'années. En 1924, la découverte en Afrique du Sud du crâne de Taung par Raymond Dart avait permis d'asseoir la thèse de l'origine africaine de l'humanité. Mais le ramapithèque asiatique – qui s'avérera un vulgaire primate – passait encore, dans les années 1960, pour un plausible ancêtre de l'homme. En 1982, huit ans après la découverte de l'Australopithecus afarensis Lucy dans le Hadar, en Éthiopie, Yves Coppens formulait l'hypothèse d'une « East Side Story » africaine fondée sur la découverte d'autres restes d'hominidés dans l'est du continent : l'élévation du rift, il y a 6 à 8 millions d'années, aurait coupé du reste du continent cette région où l'environnement de savane aurait forcé les hominidés à se redresser pour échapper aux prédateurs, d'où leur station bipède. Mis au jour à quelque 2 500 km de ce berceau présumé de l'humanité, l'australopithèque Abel était déjà venu perturber cette théorie. Toumaï lui porte un coup fatal.
Le site de Toros-Menalla s'est révélé riche en vertébrés fossiles. En plus du crâne enchâssé dans une gangue de grès de Sahelanthropus tchadensis, on y a trouvé de nombreux restes d'animaux contemporains de celui-ci. Ce sont ces restes qui ont permis de dater le crâne de Toumaï. Le sol de la région, très érodé par le vent, ne permet pas d'utiliser les méthodes de datation géologiques classiques. C'est en comparant le degré d'évolution des restes animaux trouvés sur place à celui d'autres fossiles animaux récoltés par ailleurs et appartenant à des niveaux géologiques datés par radiochronologie que l'on a pu préciser l'âge de Sahelanthropus tchadensis. « Le chronomètre, c'est l'évolution », résume Patrick Vignaud, chargé au sein de l'équipe de l'étude de la faune associée aux restes de l'hominidé retrouvé. Le verdict a surpris les chercheurs : Toumaï afficherait près de sept millions d'années au compteur ! Autre révélation, l'étude des restes animaux environnants a permis d'identifier des espèces liées à la forêt-galerie et à la prairie de graminées autant qu'à la savane arborée : l'habitat de savane ne serait donc pas un facteur déterminant de l'apparition des hominidés, comme la découverte d'Orrorin tugenensis, vieux de six millions d'années, dans un environnement arboré au Kenya, en 2001, le laissait déjà présager. Mais le travail d'identification des fragments de Toumaï ne s'est pas arrêté là. Pour tenter de lui trouver une famille, il a fallu comparer Sahelanthropus tchadensis aux restes des autres hominidés découverts jusqu'à présent, tant en Afrique qu'ailleurs. Une autre surprise attendait les chercheurs au terme de cette démarche comparative : Sahelanthropus tchadensis ne correspond à aucune autre espèce décrite auparavant. Toumaï n'est notamment pas un australopithèque. Il est unique.
Prétendant au titre
Non content d'être l'un des plus anciens fossiles préhumains découverts à ce jour, Toumaï incarnerait en outre un maillon original dans la longue chaîne des Homo. Ses caractères, qui le différencient à la fois de la branche des grands singes et de celle des chimpanzés, en feraient un prétendant au titre d'ancêtre originel de l'homme plus crédible que les australopithèques, jusqu'alors favoris. Mais « nous n'en sommes qu'au début de cette histoire », commente Michel Brunet, qui affirme seulement avoir « agrandi le berceau » de l'humanité. Démontrant tout à la fois son sens de l'humour et sa capacité à adopter un recul tout scientifique, Yves Coppens, qui a cosigné l'article paru dans Nature, a quant à lui déclaré : « Il faut savoir changer son fossile d'épaule... »