Journal de l'année Édition 2001 2001Éd. 2001

Zimbabwe : la terre, les blancs et le vieil autocrate

Le Zimbabwe a connu sa plus grave crise depuis l'indépendance. Confronté pour la première fois à une opposition crédible, le président Robert Mugabe a joué son va-tout pour éviter de perdre les élections législatives de juin 2000, en s'attaquant violemment à l'opposition et aux quelques milliers de fermiers blancs, qui détiennent toujours les meilleures terres cultivables.

Fin février 2000, le Zimbabwe a subitement fait la une dans le monde entier, lorsque des anciens combattants de la guerre d'indépendance ont commencé à occuper des fermes appartenant à des Blancs. En quelques semaines, plus d'un millier de propriétés ont été saisies. A priori, la cause semblait juste : ces grands exploitants, souvent descendants de colons britanniques, détenaient toujours la majorité des meilleures terres, alors même que leur récupération était la principale revendication de la lutte pour l'indépendance. Mais les anciens combattants n'en étaient pas tous, et surtout ils bénéficiaient du soutien appuyé d'un chef de l'État en mal de popularité. Et cette crise, la plus grave depuis vingt ans, a provoqué une profonde récession dans un pays qui figurait, il y a une dizaine d'années, parmi les plus stables du continent.

Après la fin du régime ségrégationniste du Premier ministre blanc Ian Smith, en 1980, le Zimbabwe a pourtant longtemps fait figure de modèle. Alors que l'Afrique du Sud vivait encore sous l'apartheid, l'ex-Rhodésie est passée sans trop d'accrocs à un pouvoir multiracial. Les nouveaux dirigeants noirs avaient suffisamment bien manœuvré pour que la communauté blanche, forte d'environ 100 000 personnes et contrôlant les secteurs clés de l'économie, ne plie pas bagage. Et malgré la tendance autoritaire du parti dirigeant, qui avait réprimé dans le sang une dissidence dans le sud du pays au début des années 80, le Zimbabwe était considéré comme un îlot de relative stabilité dans une région en proie à bien des soubresauts.

La réforme agraire

Le « modèle zimbabwéen » a toutefois révélé ses limites. Au début des années 90, l'économie a montré des signes d'essoufflement. Harare a dû sacrifier, à partir de 1991, au rituel de l'ajustement structurel, déjà imposé à d'autres pays africains. Pour Robert Mugabe, jusque-là adversaire résolu des méthodes du Fonds monétaire international (FMI), la décision était lourde. Elle supposait fatalement des réaménagements impopulaires, alors que ressurgissait un brûlant dossier : celui de la redistribution des terres. Au cours de la colonisation britannique, des dizaines de milliers de paysans noirs avaient été chassés de leurs exploitations et relégués dans les zones dites « tribales » par des lois octroyant les régions les plus fertiles aux colons. À l'indépendance, les leaders de l'opposition noire avaient accepté un compromis, s'engageant, pendant dix ans, à protéger la propriété privée de la terre, ce qui de facto évitait aux Blancs des expropriations intempestives, tout en promettant aux paysans noirs une redistribution foncière progressive. Mais en 1991, environ 4 000 Zimbabwéens d'origine européenne détenaient toujours 70 % des terres les plus fertiles, alors que des millions de Noirs s'entassaient dans des zones beaucoup moins favorables aux cultures. Conscient du mécontentement ambiant, Robert Mugabe a décidé de relancer la réforme agraire. Mais quand sa première phase a démarré, en 1993, ce sont des proches du pouvoir qui en ont bénéficié. Ce qui, lorsque le pot aux roses a été découvert, a fait plutôt mauvais effet dans un pays où plus du tiers de la population était au chômage. Au mois d'août 1996, une première grande manifestation et des grèves ont paralysé le Zimbabwe, troublant le fastueux mariage, en secondes noces, d'un président vieillissant avec sa jeune secrétaire. Mais c'est la découverte, l'année suivante, d'un scandale portant sur le détournement de pensions destinées aux anciens combattant qui a mis le feu aux poudres. Considérés jusque-là comme les enfants chéris du pouvoir, les ex-guérilleros ont violemment manifesté, pendant plus d'un mois. Acculé, le président a finalement annoncé des mesures exceptionnelles en leur faveur. Mais il n'a réglé que le premier d'une interminable liste de dossiers.