Les « cent-jours » de Schröder
Au bout de trois mois de gouvernement, la coalition rouge-verte qui dirige l'Allemagne après sa victoire électorale de septembre 1998 se solde par un bilan mitigé. L'état de grâce a été de courte durée. Le charisme du nouveau chancelier n'a, semble-t-il, pas trouvé grâce auprès des médias. Son incapacité à vendre la nouveauté » allemande tend à laisser entrevoir des lendemains peu chantants. Tout au long de l'année 1999, les défaites électorales se transforment en déroute. Jamais dans l'histoire de la jeune république allemande, une nouvelle équipe gouvernementale n'avait dilapidé aussi rapidement le capital de sympathie que la victoire lui avait assuré.
La coalition rouge-verte est une coalition inédite en Allemagne, non seulement par ses couleurs mais par son enjeu politique : l'intégration d'un nouveau parti, en l'occurrence les Verts, au plus haut niveau des responsabilités publiques, celui du gouvernement fédéral. Une entrée d'autant plus difficile pour le chancelier Gerhard Schröder que le parti des écologistes est difficilement gérable par ses propres dirigeants.
Un succès qui cache des incertitudes
Plusieurs « bavures » ou « gaffes » (en particulier du ministre de l'Environnement, le Vert JürgenTrittin) produisent une impression brouillonne qui altère le mode de gestion Schröder. D'autant que le chancelier doit imposer dans son propre parti sa musique « centriste » à la gauche classique, représentée par son ministre des Finances, le Sarrois Oskar Lafontaine. Dans ces conditions, la politique du nouveau chancelier est difficile à lire tant pour les Allemands que pour ses partenaires de l'Union européenne. Pourtant, Gerhard Schröder a voulu immédiatement placer la barre assez haut en parlant vrai : prendre le contre-pied des dernières années Kohl et engager l'Allemagne dans la voie de la société moderne.
Les premières reformes
À cet égard, deux dossiers fortement poussés par les Verts ont rapidement donné lieu à des débats politico-idéologiques plutôt rares dans l'Allemagne de l'après-guerre au niveau gouvernemental : la citoyenneté allemande et la société nucléaire. Sur ces deux points, les promesses de la sociale-démocratie étaient moins précises que celles des Verts. L'accord cadre signé entre les deux partis avant la formation du gouvernement les évoquait sans ambages. En moins de trois mois, le gouvernement a adopté une réforme audacieuse de la nationalité qui ne serait plus fondée exclusivement sur le droit du sang. Elle aurait, en cas d'adoption par le Bundestag, pour effet d'ouvrir la voie à l'intégration des 7,3 millions d'étrangers vivant dans le pays, c'est-à-dire un peu moins de 9 % de la population. Quant à la sortie définitive du nucléaire, elle a bien été adoptée, mais elle ne sera réelle que dans les années 2020, lorsque la dernière centrale nucléaire aura cesser son activité.
Effacer la gestion de Kohl
Conscient qu'il avait été élu en septembre en partie grâce au rejet de la politique de son prédécesseur, Gerhard Schröder a rapidement tenu plusieurs promesses électorales faites en faveur des plus défavorisés. C'est ainsi qu'il a augmenté les allocations familiales de 13 % au 1er janvier 1999 et est revenu sur plusieurs mesures prises par Helmut Kohl dans le cadre de sa lutte contre le déficit budgétaire : annulation d'une réforme du régime des retraites, rétablissement du remboursement à 100 % des congés-maladies, réduction du niveau du ticket modérateur pour l'achat de médicaments, etc. Sans oublier un programme massif d'apprentissage destiné à plus de 100 000 jeunes sans emploi. Toutes ces mesures lui ont assuré la sympathie de l'électorat traditionnel de la gauche, les restes de la classe ouvrière et surtout les classes moyennes.
Le nouveau centre en question
Mais, pour Schröder, il n'est pas question d'aller plus loin. Les promesses tenues, il ne s'agit pas de s'engager dans une politique économique néo-keynésienne telle que l'envisage son ministre des Finances, Oskar Lafontaine. Schröder veut maintenir le cap fondé sur l'indépendance des différents acteurs économiques et respecter le pacte de stabilité et de croissance. D'autant que la situation économique est plus difficile que chez ses voisins les plus proches : le chômage augmente depuis le mois de novembre 1998, la croissance chute, sans compter que les ressources de l'État fédéral connaîtront un trou important dès 2000 à la suite d'un arrêt de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe qui a décidé une baisse des impôts des familles. La stratégie du « nouveau centre » (Neue Mitte) est en danger car le ministre Oskar Lafontaine n'est pas homme à changer de politique : il recherche des moyens de financement... qui se heurtent aux agriculteurs, aux petits patrons.
Le coup de semonce du 7 février
C'est dans ce contexte difficile que se déroule le premier test électoral pour la nouvelle coalition. Revenue de la déroute de septembre 1998, la démocratie-chrétienne a mené une campagne très active, dirigeant ses coups contre les propositions de réforme du code de la nationalité. Elle rassemble près de 200 000 signatures contre le projet d'accorder la double nationalité aux étrangers. Sous la direction du nouveau chef de l'opposition, Wolfgang Schäuble, la démocratie-chrétienne a choisi l'affrontement, au risque de dérives droitières. Le pari était risqué mais il a été gagné. En remportant le scrutin de la Hesse, la démocratie-chrétienne a non seulement évincé la coalition rouge-verte la plus ancienne du pays au niveau des Länder, mais elle a gagné la majorité absolue au Bundesrat (la chambre des Länder). L'enthousiasme des sociaux-démocrates est refroidi. D'autant que, à la veille des élections, les instituts de sondage pointaient toujours en tête la coalition rouge-verte.