Timor : l'indépendance dans la terreur
Un quart de siècle de violence s'est achevé, au Timor-Oriental, dans la violence. Pouvait-il en être autrement quand, dans un pays où la répression militaire constitue le principal moteur d'une unité nationale factice, une province décide de reprendre son indépendance ? Tardive mais déterminante, l'intervention de la communauté internationale permet d'envisager désormais la possibilité d'une évolution pacifique et démocratique au Timor-Oriental, éventualité renforcée par le changement de régime survenu à Djakarta en octobre.
C'est dans la violence que le Timor-Oriental a quitté le giron portugais, en 1975 ; c'est dans la violence qu'il a été occupé par l'armée indonésienne, la même année, avant d'être annexé par Djakarta l'année suivante et soumis à une politique de terreur qui devait causer la disparition du quart de sa population ; c'est encore la violence, celle d'un massacre d'étudiants à Dili en 1991, qui a fait resurgir le dossier timorais sur le devant de la scène internationale. Les résultats du référendum sur le futur statut du territoire, organisé par l'ONU le 30 août, pouvaient-ils être accueillis dans le calme ?
Un nouveau statut
Le président Suharto n'avait jamais voulu accorder de statut spécial à l'ancienne colonie portugaise majoritairement catholique, dont l'annexion n'a pas été reconnue par la communauté internationale. Jusuf Habibie, qui lui a succédé en mai 1998 dans un contexte de revendications démocratiques, a décidé de relancer les discussions sur l'indépendance du Timor-Oriental, prenant l'armée de court. En mai 1999, l'Indonésie a signé avec le Portugal, sous l'égide de l'ONU, un accord prévoyant l'organisation d'un référendum sur le statut de large autonomie proposé par Djakarta. Dès l'ouverture des négociations, en janvier, des milices intégrationnistes ont commencé à troubler la vie publique dans la province, en toute impunité. Réactivées par l'armée, elles sont les héritières des milices levées par Djakarta au moment de la décolonisation portugaise. Les violences meurtrières sont quotidiennes. Face à l'armée et aux milices, la mission de l'ONU au Timor-Oriental chargée d'organiser le référendum ne dispose que d'un millier d'hommes sans armes. Jusqu'à la ratification par le Parlement des résultats du référendum, les forces de l'ordre indonésiennes demeurent seules responsables de la sécurité du territoire.
En dépit des manœuvres d'intimidation, les Timorais de l'Est se déplacent en masse pour aller voter. Annoncés le 4 septembre par l'ONU, les résultats du référendum font état d'un taux de participation de 98,6 % : l'« autonomie spéciale » concédée par Djakarta est rejetée par 78,5 % des électeurs. Le président Habibie déclare aussitôt qu'il « respecte et accepte » les résultats de la consultation. La procédure de sécession du Timor-Oriental prévue par l'accord de mai doit dès lors être engagée. Dès l'annonce des résultats – que les anti-indépendantistes refusent de reconnaître –, les actes de terreur à l'encontre de la population civile redoublent, tandis que l'attitude des forces de l'ordre continue de fluctuer entre complaisance et complicité.
Crise à Djakarta
L'armée ne peut abandonner sans réagir cette « chasse gardée » dont elle assure la bonne « intégration » depuis vingt-quatre ans. Garante de l'unité nationale, elle ne peut laisser impunément les Timorais de l'Est donner le mauvais exemple alors que les revendications séparatistes se multiplient à travers l'archipel. L'armée voit aussi dans cette crise l'occasion de revenir en force sur la scène politique en corrigeant les effets pervers de la politique réformatrice du président Habibie. Elle est passivement aidée en cela par une classe politique unanimement hostile à l'indépendance du Timor-Oriental et par une opinion à la fois indifférente au problème timorais et remontée contre l'ONU et la communauté internationale. Les scènes de massacres, de pillages et de destructions et les déportations massives de populations vont se succéder pendant deux semaines. Le bilan s'élèvera à quelques milliers de morts, 200 000 déportés et des destructions dignes d'une politique de « terre brûlée ». Les services de renseignements occidentaux révéleront qu'une « opération Nettoyage total » avait été programmée par l'armée en cas de victoire des indépendantistes au référendum.