La droite empêtrée en Rhône-Alpes
Le 11 décembre 1998, le Conseil d'État prononce l'annulation de l'élection de Charles Millon à la présidence du conseil régional Rhône-Alpes neuf mois plus tôt. Cette mesure bride les ambitions nationales du fondateur de La Droite, qui comptait fédérer une droite « légitime » depuis son fief rhônalpin. Mais elle ne profite pas plus à la droite, qui fait le deuil de l'Alliance, lors des élections à sa succession.
« Les paroles s'envolent, les écrits restent »... Pour ne pas avoir su évaluer toutes les nuances de ce proverbe rapporté aux us électoraux rhônalpins, Charles Millon a dû remettre en jeu la présidence du Conseil régional de Rhône-Alpes qu'il assumait depuis son élection controversée du 20 mars 1998 avec l'appui du FN. Le Conseil d'État annonçait le 11 décembre l'annulation de cette élection, au motif que le second tour avait été précédé par un débat oral susceptible d'influencer les électeurs, en violation de la loi du 7 mars 1998 relative au fonctionnement des conseils régionaux. C'est en effet au cours de ce débat à l'initiative du doyen d'âge, Pierre Gascon (UDF), que le candidat FN Bruno Golnisch s'était entendu avec le candidat UDF-RPR Charles Millon pour lui apporter ses voix sur la base d'un programme commun minimal. Strictement verbal, et de ce fait supposé idéologiquement et stratégiquement moins contraignant, ce contrat d'alliance avec le FN – qui lui vaudra de la part de la classe politique un ostracisme aussi sévère que s'il avait été couché sur le papier – se retourne désormais contre M. Millon avec toute la force de la loi. Confirmant sa marginalisation, l'invalidation de M. Millon se présente comme une aubaine pour ses anciens amis de l'opposition, soucieux de le déloger au plus vite de sa citadelle rhônalpine d'où il avait enclenché une inquiétante dynamique de rapprochement avec une extrême droite presque « normalisée », rapprochement déjà à l'œuvre dans d'autres Régions et risquant de faire des émules parmi les élus de droite lors des municipales de 2001.
Une fausse aubaine
La décision de justice tombait à point nommé, alors que la droite, engagée dans un important processus de rénovation au lendemain de régionales déstabilisatrices, pensait avoir cimenté le socle sur lequel elle pourrait présenter un front uni lors des échéances électorales à venir. Après avoir proclamé leur profession de foi unitaire en créant l'Alliance pour la France en mai 1998, les trois formations d'une opposition réconciliée avaient déployé de savants efforts pour régler leurs querelles dans la grande famille d'une droite s'essayant elle aussi à la pluralité : affichant son identité centriste, la nouvelle UDF issue du conseil national fondateur de novembre 1998 avait accueilli avec indifférence la naissance du parti La Droite fondé au même moment par le transfuge Millon et avait pris acte de la dissidence libérale d'Alain Madelin ; à la tête de DL, ce dernier avait tissé des liens privilégiés avec le chef de la famille gaulliste, Philippe Séguin, réélu triomphalement en décembre à la tête du RPR avec la bénédiction de l'Élysée. Enfin, la sortie du tunnel coïncidait, pour cette droite en voie de réunification, avec l'apparition de premières failles sérieuses dans un gouvernement divisé sur la question de la sécurité, et avec le divorce au sein du FN entre lepénistes et mégrettistes, consommé fin janvier à Marignane par le congrès fondateur du FN-Mouvement national, qui semble diminuer la capacité de nuisance de l'extrême droite.
L'Alliance ébranlée
Autant d'indicateurs invitant l'opposition à l'optimisme à la veille de ces élections pour la présidence de la Région Rhône-Alpes, le 10 janvier. Mais, contre toute attente, elles réveilleront les vieux démons de la division, ramenant la droite à une réalité qui n'a finalement pas évolué depuis le 20 mars 1998 et qui ne l'autorise pas davantage à faire cause commune face à la gauche et à l'extrême droite, renvoyées dos à dos : soutenue par MM. Séguin et Madelin, cette stratégie du « ni ni » dont Pierre Gascon devait être le candidat par défaut bute cette fois encore contre la froide arithmétique qui contraint la droite à choisir entre les voix d'un FN même divisé et celles de la gauche. Après 48 heures de sourdes tractations, qui voient M. Millon et d'autres régler leurs comptes, ce sont finalement les voix de gauche qui porteront à la présidence de la Région la candidate barriste de l'UDF, Anne-Marie Comparini. La nouvelle présidente, loin de faire vibrer la corde de l'« arc républicain » exalté par l'UDF, est désavouée par les élus du RPR et de DL, qui dénoncent ce « coup très dur » porté à l'Alliance, qui n'y résistera d'ailleurs pas. Avec ou sans M. Millon, la droite se sera donc cassé les dents sur la Région Rhône-Alpes et devra renoncer à une cohésion laborieusement édifiée. Elle devra se résoudre à se lancer en ordre dispersé dans la campagne pour les européennes de juin, qui avaient pourtant été présentées comme un champ de manœuvres de la droite unie pour le scrutin présidentiel. Le 20 janvier, le RPR et DL annoncent la constitution d'une liste unique conduite par M. Séguin ; l'UDF largue aussitôt les amarres, François Bayrou, étant présenté le 7 février comme la tête de liste d'un parti centriste soudain rassuré de voir se lever l'hypothèque néogaulliste et de pouvoir ainsi affirmer son credo politique en faveur d'une Europe fédérale. À l'opposé, Charles Pasqua prend ses distances avec le RPR pour affirmer ses convictions hostiles au traité d'Amsterdam à la tête d'une liste qu'il conduit avec Philippe de Villiers, alors que Charles Millon tente pour sa part de poser ses marques dans cette droite éclatée en se rapprochant du CNI. Tandis que les états-majors oublient leur ambition d'une droite plurielle, il n'y a plus guère que la croisade contre le PACS pour rassembler le « peuple de droite » dans une grande manifestation à Paris le 30 janvier. Pendant que la gauche veut assumer sa pluralité de listes dans la sérénité – une liste pour le PS, conduite par François Hollande auquel se rallieront plus tard le MDC et le PRG, une pour le PC ouverte à des personnalités non communistes et une pour les Verts –, la droite se console en voulant croire que le scrutin à venir créera enfin la dynamique unitaire attendue avant des échéances électorales majeures. On sait qu'il n'en fut rien.