Ultime cible, l'armée, pourtant crainte et respectée, est mise sur la sellette. Absente les deux premiers jours, on lui reproche sa lenteur à se déployer sur les zones sinistrées, certains osent même l'attaquer de front, comme cette femme qui constate : « Tout ce que notre armée sait faire, c'est la guerre avec les Kurdes. » Là encore les connexions entre les principaux intéressés sont faciles à établir. Plus que l'armée en tant que telle, c'est l'absence de coordination entre le pouvoir civil et la hiérarchie militaire qui semble plus vraisemblablement à l'origine du dysfonctionnement, le gouvernement ne souhaitant pas que l'armée, responsable de trois putschs en trente ans s'immisce trop dans les affaires civiles.

Finalement, comme le souligne le quotidien le Monde dans son édition du 3 septembre, ce sont tous « les mythes fondateurs de l'État turc » qui volent en éclats : l'État tigre de papier, le mythe du Papa-État « Devlet baba », entretenu par un président de la République, Suleyman Demirel, très paternaliste, l'armée pilier du système laïque, enfin le mythe de la Turquie moderne, la ville de Marmara étant le symbole du dynamisme industriel.

Le bilan économique est très lourd, d'autant que la crise russe et la non-intégration de la Turquie dans le groupe des candidats à l'Union européenne avaient déjà contribué à fragiliser l'économie du pays.

Bilan : brisure et espoir

Les évaluations du coût matériel des dégâts oscillent entre 5 et 15 milliards d'euros. Quant aux conséquences politiques, elles sont tout aussi préoccupantes. La coalition gouvernementale tripartite, unie depuis les dernières élections du 18 avril, se fissure, faisant renaître de ses cendres un nationalisme virulent. Porté par le ministre de la Santé, Osman Durmus, ancien des « Loups gris » (groupe fasciste), lequel s'illustre à l'occasion par un cynisme déclaré en remettant en cause l'utilité de l'aide étrangère (« La Turquie n'en avait pas besoin ») et en s'en prenant à la population, qui au lieu de réclamer des toilettes, devrait « aller faire ses besoins dans les mosquées ». Seul espoir, la colère de la population peut conduire à accélérer la réforme de ce système politique, sur le modèle mexicain (suite au tremblement de terre de 1985). Certains enseignements ont tout de même été tirés de la catastrophe. Le Premier ministre a annoncé la création d'une structure de prévention et d'intervention spécialisée dans les tremblements de terre et un conseil des ministres à décidé de lutter contre la « subversion ».

Céline Cabourg

La Grèce, ennemie jurée, au secours de la Turquie

Plusieurs images symboliques ont marqué cette catastrophe. Parmi elles, celles des avions grecs C 30 décollant de l'aéroport d'Athènes avec à leur bord des équipes spécialisées, la mobilisation des municipalités grecques, les dons de sang, ou encore cette fillette de neuf ans sauvée des décombres par des médecins grecs. Ennemis de toujours, la Grèce et la Turquie ont semblé un temps réconciliées. Il faut dire que la Grèce est particulièrement sensible et concernée par le risque sismique, surtout sur ce côté occidental de la Turquie que les Grecs ont dû quitter lors d'un échange massif de population en 1922. Si les diplomates restent prudents sur la signification réelle de ce geste de solidarité, ils ont entendu le ministre des Affaires étrangères grec, Georges Papandhreou, promettre de reconsidérer le veto de son pays, qui bloque depuis trois ans les aides européennes en direction de la Turquie.