Séisme en Turquie
Dans la nuit du 17 au 18 août 1999, un tremblement de terre de magnitude 6,7 sur l'échelle de Richter frappe plusieurs villes au sud-est d'Istanbul, dont Izmit, Yalova, Gölcük, Adapazari. L'onde de choc se propage peu à peu dans les environs de la mer de Marmara, une région particulièrement peuplée et très industrialisée. L'ampleur du désastre est telle – des dizaines de milliers de victimes et quelque 40 000 bâtiments détruits – qu'il ébranle le socle politique de la société turque. Le gouvernement est accusé de corruption, de négligence et de laxisme. Les conséquences politiques de ce tremblement de terre pourraient s'avérer très lourdes.
Sept morts, quarante-cinq secondes après la première secousse, 10 000 trois jours plus tard, 40 000 selon un responsable humanitaire de l'ONU, qui, en plus des victimes, prend en compte dans son calcul les disparus : la Turquie se trouve vite dépassée par la catastrophe. Incapable de dresser un bilan exact, la cellule de crise du gouvernement d'Ankara parle simplement de « chiffres effroyables, et de dizaines de milliers d'immeubles effondrés ».
L'engrenage de la révolte et les principaux griefs
Dès les premières heures qui suivent la secousse, la contestation populaire se cristallise autour des lenteurs de l'aide officielle. Immédiatement, la solidarité s'organise entre amis, entre voisins. La mobilisation de la société civile et des entreprises privées apparaît d'autant plus spectaculaire que les populations dénoncent l'absence sur le terrain des représentants de l'État. Au bout de quelques jours de recherches, les risques d'épidémie poussent le gouvernement à déblayer à l'aide de bulldozers, ce qui oblige les équipes de secours à se retirer, tandis que les populations crient leur désarroi, estimant qu'on pourrait attendre un peu. D'autant que plusieurs miracles se sont produits. Ici à Yalova, une fillette de douze ans est sauvée des décombres par les secouristes français, là à Yuksel, une femme de quatre-vingt-quinze ans sera retrouvée vivante après cent heures d'attente. Dans le même temps, une semaine après la première secousse, alors que les villes touchées se transforment en gigantesques cimetières, la situation des sans-abri est alarmante. Le pouvoir est encore pointé du doigt, tout comme le Croissant-Rouge (l'équivalent turc de la Croix-Rouge) qui se contente de parquer les survivants dans des « camps de toile », sans sanitaires, dans des tentes de fortune plantées dans la boue et qui laissent passer l'eau.
Les trois cibles de la contestation
Chaque jour, les critiques se radicalisent un peu plus contre l'État et le pouvoir politique, incapables et fautifs à la fois. Un universitaire de Marmara souligne le vide politique : « Quarante-cinq secondes et le monde s'écroule. L'État a perdu sa légitimité. Voyez les gens, ils crient tous où est l'État ? [...] dans une situation de crise, ils se rendent compte qu'il n'y a pas d'État. C'est une coquille vide. Un décor pour les affairistes et les mafieux. » Les reproches sont de plusieurs ordres, les responsabilités multiples. Outre l'incurie gouvernementale dans l'organisation des secours, du fait notamment de l'absence de structures d'aide, on accuse les autorités d'avoir laissé faire ou même d'avoir favorisé l'anarchisme des constructions, de n'avoir contrôlé aucun édifice, afin de s'assurer de la conformité (ici inexistante) aux normes de sécurité. Non-respect des rapports scientifiques, permis de construire achetés, vide juridique absolu sur les conditions du contrôle, c'est le laxisme et la corruption des arcanes du pouvoir qui sont dénoncés. C'est tout le système qui est remis en cause. La confiance a disparu.
Au lendemain de la catastrophe, le Premier ministre turc est bien forcé de reconnaître : « Quant au contrôle de la qualité des constructions, il a été très insuffisant. »
Dans le même temps, les entrepreneurs sont mis au banc des accusés. Partout les plus corrompus fuient les villes, ou sont arrêtés. Les responsabilités sont partagées, les « cibles » étroitement liées. Dans le cercle vicieux de la corruption, les constructeurs influencent traditionnellement le système politique par la voie du lobby, en finançant les partis politiques.