La mort de Hassan II
Quelques jours après avoir fêté ses soixante-dix ans, le roi du Maroc Hassan II s'éteint le 23 juillet, au terme de trente-huit ans de règne. « Le souverain qu'on aime deux fois, par patriotisme et par foi », roi et père, qui avait, par sa poigne et sa baraka, surmonté crises et attentats, était un homme paradoxal suscitant les passions les plus contradictoires. Tour à tour dépeint comme tortionnaire, obscurantiste et même tyran sanguinaire, il est aussi l'« ami des Juifs » avant de devenir « roi des bons offices » entre arabes et israéliens.
Homme de l'arbitraire et du secret, de la répression, mais aussi de la lutte contre l'islamisme, il laisse à « Mohammed, fils de Hassan », futur Mohammed VI, un vaste chantier où les défis ne manquent pas, qu'il s'agisse d'assurer le développement économique, de mettre un terme au conflit du Sahara occidental, de poursuivre l'ouverture politique dans le respect des droits de l'homme. Pour cela, il détient tout de même des armes : les réformes entreprises depuis dix ans, une marche déjà engagée vers la démocratisation et la modernité, une voix écoutée sur la scène internationale.
Les Marocains orphelins sont venus à Rabat par milliers pour pleurer leur roi, le dimanche 25 juillet, jour des obsèques. Les dernières funérailles remontaient à 1961, quand le père de Hassan II, Mohammed V, était décédé à cinquante et un ans. Pour Hassan II, les chefs d'État du monde entier ont fait le voyage ; parmi eux, on aura reconnu le président et le Premier ministre d'Israël, Ezer Weizman et Ehoud Barak, le président américain Bill Clinton, le prince Charles d'Angleterre, le président français Jacques Chirac, ses homologues gabonais et algérien, Omar Bongo et Abdelaziz Bouteflika, ou encore le chef de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, seule personnalité de la délégation étrangère à être admise à l'intérieur du Mausolée. On a repéré quelques absents : Hafez El Assad, Boris Eltsine, le colonel Kadhafi. Mais on a aussi remarqué quelques échanges lourds de symboles, en marge des obsèques, entre le Premier ministre israélien et le président algérien, notamment.
Monarque à qui la Constitution confère des pouvoirs quasi absolus (le roi est une des institutions sacrées marocaines avec l'islam et la patrie), Hassan II lègue à son successeur (après une période de deuil de quarante jours) une monarchie que personne ne remet plus en cause et qui est devenue un ferment d'unité. Monarque de droit divin, Commandeur des croyants, Hassan II ne commandait pas des citoyens mais des sujets : il avait conservé le baisemain jusqu'à sa mort et, sous son règne, crier « vive la république » était passible de prison. Le multipartisme, les Constitutions successives, l'alternance n'avaient été concédés qu'en fin de règne. Le couple de ministres dont il s'était entouré symbolise parfaitement le caractère clair-obscur du personnage : le très conservateur ministre de l'Intérieur Driss Basri aux côtés du nouveau Premier ministre socialiste Abderrahmane Youssoufi, gage d'ouverture. Cela étant, Hassan II emporte dans sa tombe sa formule fétiche : « Le trône ne saurait être mis en équation. » Son fils Mohammed VI ne peut se la réapproprier et se présente plutôt comme le partisan d'une « révolution en douceur ».
Mohammed VI appartient à cette nouvelle génération qui un peu partout et au même moment dans les pays arabes est en train de prendre la relève : Bashar El Assad, médecin propulsé par son père Hafez, dans le champ politique en Syrie ; Abdallah, successeur de Hussein de Jordanie.
Leurs pères se sont battus pour des États encore peu sûrs d'eux-mêmes ; ils héritent d'États où les problèmes ne manquent pas, mais dans lesquels les marges de manœuvre sont plus grandes. Célibataire de trente-six ans formé dans les universités françaises, où il apprend le droit, et dans les couloirs de la Commission européenne et de l'ONU, auteur d'une thèse de doctorat sur la coopération entre le Maghreb et l'Union européenne, Mohammed VI est un roi moderne, peu familiarisé avec le pouvoir. Il se veut également monarque social, se distinguant notamment par l'instauration en 1998 d'une Semaine contre la pauvreté.
Les défis du nouveau roi
Ses deux premières grandes décisions portent d'ailleurs, d'une part, sur le social, avec en novembre une nouvelle Semaine contre la pauvreté, et, de l'autre, sur les droits de l'homme, avec la création d'une commission d'arbitrage et d'indemnisation pour les disparus des années de plomb. Le retour facilité de l'opposant de toujours, Abraham Serfaty, expulsé en 1991 après dix-sept ans passés en prison à Kenitra, témoigne du nouveau cours de la politique à Rabat. C'est pourquoi, tout en s'inscrivant dans l'héritage de Hassan II, Mohammed VI dès son discours du trône fait savoir où sont ses priorités : l'enseignement et la pauvreté sont placés avant le sacro-saint Sahara occidental ou encore avant le soutien à l'alternance politique. Une manière de reconnaître que dans ce pays, où le chômage touche 21 % de la population et où moins de 10 % se partagent plus de 80 % des richesses, la modernité n'est que de façade. Dans un Maroc au 125e rang des pays classés par l'ONU pour les indices de base tels que l'école, la santé, ou le PIB par habitant, il fait du social une priorité. Il devra par ailleurs relever d'autres défis d'importance. Régler le problème interminable du Sahara occidental et apaiser les relations avec l'Algérie, en encadrant au mieux le référendum d'autodétermination prévu pour juillet 2000.