Les élections européennes
Pour la cinquième fois depuis vingt ans, les Européens étaient appelés à élire leurs députés au Parlement de Strasbourg. Le scrutin, qui s'est de nouveau révélé peu mobilisateur, malgré le progrès de l'idée européenne aussi bien dans les sphères dirigeantes que chez les électeurs, a sanctionné les gouvernements de gauche au pouvoir et donné la majorité, pour la première fois de l'histoire du Parlement européen, aux partis de droite – les démocrates-chrétiens et leurs alliés. Seules exceptions, le Portugal et la France, où – encore une première depuis la création de la consultation – le total des voix de la gauche parlementaire dépasse celui de la droite.
Volonté politique de mettre fin à l'intolérable à ses portes au Kosovo, règles de sécurité alimentaire, création de l'euro le 1er janvier, renforcement des pouvoirs du Parlement de Strasbourg : l'Europe n'est plus en cause. Le vote des citoyens de l'UE a clairement exprimé leur volonté de voir s'approfondir la construction européenne.
Une abstention record
L'europhobie régresse donc ; mais pas l'indifférence des citoyens. Tandis que l'Europe se construit, la désaffection électorale s'accentue. Depuis leur création, en 1979, les élections européennes n'ont jamais été mobilisatrices. Mais celles du 13 juin ont été marquées par un taux d'abstention record – 51 % en moyenne dans la plupart des quinze pays de l'Union européenne contre 43,2 % en 1994 –, le Royaume-Uni se distinguant avec un taux d'abstention de 77 %, suivi notamment par l'Allemagne (55 %) et la France (52,9 %). Une progression de l'abstention d'autant plus spectaculaire que le corps électoral a augmenté de 14 % depuis 1979. Et d'autant plus surprenante que le scrutin à la proportionnelle et, une de ses conséquences, la multiplication des listes, qui accroissent l'offre électorale, sont censés représenter des facteurs de participation. Ce désintérêt affiché par plus d'un électeur sur deux puiserait son origine dans l'actualité récente : l'occultation de la campagne européenne par le conflit du Kosovo, le scandale des pots-de-vin et des emplois fictifs de la Commission européenne, la montée des « souverainistes » qui prônent le sursaut des nations. Une autre raison avancée tient au mode de scrutin, lequel, en l'absence de lien direct entre l'élu et ses électeurs, pénalise l'élection européenne par rapport aux élections nationales. Mais ce rejet de la représentation politique est l'indice d'un malaise démocratique qui dépasse le seul résultat des élections européennes. Il fait suite à de nombreuses manifestations de « participation protestataire », la dernière étant l'augmentation des votes blancs et nuls (plus d'un million le 13 juin) et des votes en faveur des forces politiques périphériques (en France, par exemple, la moitié des électeurs a dédaigné les listes des quatre « grands » partis – PC, PS, UDF, RPR).
Une Europe moins rose
La majorité des gouvernements en place dans l'Union européenne, onze sur quinze, sont dirigés par des formations socialistes ou sociales-démocrates. Or, pour la première fois après quatre législatures, le balancier des résultats penche du côté du Parti populaire européen (PPE), qui rassemble la droite démocrate-chrétienne et ses alliés. Gagnant 23 sièges de plus que dans la chambre précédente, le PPE devance de 45 sièges (225 contre 180) le groupe parlementaire du parti des Socialistes européens (PSE), en recul de 34 sièges. Le revers socialiste est dû aux reculs des travaillistes anglais (avec une perte de 31 sièges et de 20 % des voix, ils sont devancés par les conservateurs) et des sociaux-démocrates allemands (30,7 % des suffrages pour le SPD contre 48,7 % pour les chrétiens-démocrates CDU-CSU), quelques jours après la publication par Tony Blair et Gerhard Schröder de leur manifeste pour une « troisième voie » à forte tendance libérale. Mais il est de nature à relancer, de manière salutaire, la démocratie européenne. En vertu de ce nouveau rapport des forces, les partis d'opposition nationaux pourront ainsi affirmer leurs positions face à la majorité socialiste du Conseil des ministres européen. Pour ne pas gêner l'action de l'exécutif européen, les deux principaux groupes parlementaires avaient pris le parti de régler leurs différends par consensus, en dehors du jeu politique classique : cette époque est sans doute révolue.
L'exception française
Contrairement aux gouvernements en place dans le nord-est de l'Europe, ceux du sud-ouest de l'Europe sortent confirmés, comme en Espagne, ou renforcés, comme au Portugal ou en France, du scrutin européen. L'élection des 87 députés français (un pour 677 666 habitants) – contre, par exemple, 99 députés allemands (un pour 829 247 habitants) et 6 députés luxembourgeois (un pour 71 517 habitants) –, sur les 626 que compte le Parlement de Strasbourg, a désigné un vainqueur, la gauche, qui obtient un total de 39 % des suffrages, et un vaincu, la droite, qui en obtient 35 %. Mais la multiplication des listes a entraîné un éparpillement de la représentation nationale. À gauche, la liste socialiste conduite par François Hollande, vainqueur relatif, résiste avec près de 22 % des suffrages, un résultat proche de celui de Lionel Jospin au premier tour de l'élection présidentielle. Le Parti communiste, avec moins de 7 % des voix – le plus mauvais score de son histoire–, ne devance l'extrême gauche, Lutte ouvrière-Ligue communiste révolutionnaire, que de moins de deux points : l'alliance des deux familles trotskistes leur permet d'accéder, pour la première fois, au Parlement européen et, pour la deuxième fois en deux ans, à des fonctions électives, après les régionales de 1998. La liste communiste est largement devancée par les Verts, conduits par Daniel Cohn-Bendit, qui frôlent les 10 %. Désormais deuxième force de la gauche plurielle, le parti de Dominique Voynet entend réclamer un rééquilibrage ministériel en sa faveur – le PC compte trois postes au gouvernement, les Verts, un seul. Une revendication qui ne manquera pas de tendre les relations au sein de l'équipe gouvernementale. Cette bonne tenue de la gauche plurielle a été soulignée par l'éclatement de la droite républicaine. Au sein de celle-ci, la liste RPR-Démocratie libérale, menée par Nicolas Sarkozy, qui n'obtient que moins de 13 % des voix, est devancée de 0,2 point par la liste conduite par Charles Pasqua et Philippe de Villiers. La contre-performance du RPR entraîne la démission de M. Sarkozy de la présidence par intérim du mouvement gaulliste et, bien qu'il se soit tenu à l'écart de la campagne, embarrasse le président Jacques Chirac, deux ans après la dissolution manquée et le retour de la gauche aux affaires.