Indonésie : changement de régime
La défaite du Golkar aux élections législatives de juin a annoncé celle du président Habibie à l'élection présidentielle d'octobre. Entre ces deux dates, le pays a fini de se convaincre du caractère inéluctable du changement en cours depuis dix-huit mois.
Lors des élections législatives organisées sous la présidence de Suharto, la victoire du Golkar, le parti gouvernemental, était annoncée avant même la fin du dépouillement. Il aura fallu, cette fois-ci, attendre près de deux mois – le scrutin a eu lieu le 7 juin et les résultats définitifs ont été proclamés le 3 août – pour avoir la confirmation de la défaite du parti au pouvoir depuis plus d'un quart de siècle.
En mai 1997 encore, lors des dernières élections législatives, le Golkar avait recueilli les trois quarts des suffrages et conservé la très confortable majorité qu'il détenait à l'Assemblée nationale. Mais, entre-temps, les « émeutes de la faim » provoquées par la crise financière et les revendications étudiantes en faveur des réformes démocratiques ont eu raison de cette unanimité entretenue. La réélection par le Parlement élargi du président Suharto, candidat unique, en mars 1998, n'a pas fait longtemps illusion. Le « consensus », principe politique au nom duquel aucune opposition officielle n'existait en Indonésie, était déjà fissuré. En mai 1998, Suharto démissionnait, après trente-deux ans de règne autocratique, sous la pression de la rue et de la classe politique. Son successeur, le vice-président Jusuf Habibie, tout aussi honni par les étudiants, confirmait la convocation d'élections générales en 1999.
En juin 1999, lors des premières élections législatives vraiment libres depuis 1955, l'aspiration au changement qui s'était illustrée dans la rue s'est exprimée par les urnes. Plus de 90 % d'Indonésiens sont allés voter. Le Parti démocratique indonésien (PDI-P) de Megawati Sukarnoputri, fille du fondateur de l'Indonésie, est arrivé en tête avec 33,7 % des suffrages et 154 des 462 sièges à pourvoir. Le Parlement compte 500 sièges dont 38 sont réservés aux représentants des militaires, qui ne disposent pas du droit de vote. Le Golkar n'a obtenu que 22,4 % des voix et 120 élus. Son allié, le Parti du développement uni, a sauvé 58 sièges. Deux formations musulmanes alliées au PDI-P, qui n'avaient jusqu'alors pas d'existence légale, le parti du Réveil national d'Abdurrahman Wahid et le parti du Mandat national d'Amien Rais, se sont classées en quatrième et cinquième position avec respectivement 51 et 35 sièges.
Des manœuvres se sont aussitôt engagées en vue du scrutin présidentiel, dont les élections législatives sont apparues à beaucoup comme le premier tour. Très populaire, Megawati Sukarnoputri ne pouvait toutefois pas compter sur une majorité au sein de l'Assemblée consultative du peuple (MPR) qui élit le chef de l'État. Celle-ci est composée des 500 députés auxquels s'ajoutent 200 délégués des assemblées provinciales et représentants d'associations parmi lesquels le Golkar est surreprésenté. Une femme pouvait-elle s'imposer aux musulmans conservateurs ? Une « opposante » pouvait-elle séduire l'aile libérale du parti gouvernemental ? La forte popularité de l'« héritière » n'était pas suffisante pour décourager le président Habibie de tenter de sauver la mise.
Deux premiers votes, intervenus au début du mois d'octobre, ont d'ailleurs prouvé la difficulté du PDI-P à concrétiser sa victoire électorale. Le 3, le MPR a désigné à sa présidence Amien Rais, chef du parti du Mandat national. Et le 5, la nouvelle Assemblée nationale a élu à sa tète le président du Golkar, Akbar Tandjung.
Une rupture avec le passé
Mais le statu quo n'était déjà plus possible. En septembre, la violente répression des manifestations étudiantes et l'implication de la présidence dans un scandale financier avaient encore affaibli Jusuf Habibie, déjà affecté par le fiasco timorais. Le refus du général Wiranto, annoncé le 18 octobre, d'être son colistier, suivie, le lendemain, du rejet par le MPR du bilan présenté par Jusuf Habibie ont eu raison des espoirs de ce dernier. Après le retrait de sa candidature, le Golkar a renoncé à présenter un autre candidat, laissant face à face Megawati Sukarnoputri et Abdurrahman Wahid, président du parti du Réveil national. Le 20, à une majorité assez large, le MPR a choisi, pour diriger le plus grand État musulman au monde, Abdurrahman Wahid, chef de la plus importante organisation de docteurs de la foi du pays, la Nadhlatu Ulama, et défenseur d'un islam très tolérant. Le lendemain, c'est avec l'appui d'Akbar Tandjung et l'assentiment muet du général Wiranto – qui avaient retiré leur candidature au nom de l'« intérêt national » – que Megawati Sukarnoputri, candidate du président Wahid, a été élue vice-présidente.