Selon l'INSEE, avec le recensement de 1999, « les limites de l'exercice dans une France urbaine ont été atteintes », aussi bien dans les domaines du coût de l'opération (qui fit reporter le recensement de 1997 à 1999, ce qui entraîna une période intercensitaire record), des relations politiques (avec des mairies dont l'investissement dans le projet fut fort variable) ou de la gestion sociale (avec les agents recenseurs...). On substituerait à cette lourde machine « une estimation continue organisée », planifiée selon un calendrier serré : après une loi votée en 2000, cette estimation continue débuterait en septembre 2001, à la suite des élections municipales.
Ce projet diviserait le territoire français en deux : les communes de moins de 10 000 habitants et les communes de plus de 10 000. Dans le premier cas, une commune sur cinq serait étiquetée chaque année, soit au bout de cinq ans 100 % des communes et des habitants. Dans le second cas, un cinquième du territoire serait choisi chaque année (au niveau de l'immeuble, et non plus de l'îlot), dont on sonderait 40 % des habitants, soit, chaque année, 8 % de la population urbaine et, au bout des cinq ans, 40 %.
Une question de « fraîcheur »
L'INSEE entend ainsi accroître la « fraîcheur » de l'information : des estimations fiables de la population deviendraient annuelles pour le territoire national et quelques grandes zones géographiques (d'au moins un million d'habitants). La fraîcheur des informations serait de trois ans contre six ou neuf ans pour les recensements habituels : la méthode repose sur une interpolation temporelle, qui permet de passer d'une information collectée à cinq dates différentes à une seule. L'INSEE utilisera, pour « réajuster » les données, les fichiers locaux annuels et exhaustifs issus de la taxe d'habitat, et surtout les fichiers informatisés de l'assurance-maladie, ce qui constitue une nouveauté en France.
Ce projet, qui permet incontestablement de réduire la période intercensitaire, sans augmenter le coût de collecte, tout en simplifiant son organisation, soulève néanmoins de nombreuses interrogations chez les démographes. Ainsi, sur la méthode, certains soulignent l'inégalité de traitement d'une France séparée en deux, celle des communes de moins de 10 000 habitants, où 100 % des Français sont enquêtés, et celle des communes de plus de 10 000 habitants, où seuls 40 % des Français le sont. On opposerait alors petites et grandes communes dans une période où les pays, les centres urbains et les périphéries rurales doivent s'associer dans la gestion de territoires dépassant les communes, l'INSEE allant donc à contre-courant des lois Voynet et Chevènement qui, votées cette année, entendent trouver les moyens d'enrayer le déclin rural et opérer un aménagement plus équilibré du territoire. Or, l'Institut affirme, au contraire, respecter ces lois : la loi garantissant les principes d'égalité des collectivités territoriales et de l'égalité des suffrages, cette distinction ne peut être fondée que sur un critère objectif – la taille de la commune semble le seul à s'imposer.
Sur le fond, la méthode d'estimation proposée est essentiellement statistique et s'effectue à partir d'un recensement dans les petites communes ou d'un sondage dans les grandes communes et de sources administratives, pour ajuster au mieux les estimations de population. Elle néglige l'estimation démographique, reliant les effectifs à deux dates aux événements qui surviennent entre elles. Pour certains démographes, il n'est possible de réaliser un recensement continu de la population qu'en mettant en place un registre de population qui enregistre de façon continue les naissances et décès domiciliés, ainsi que l'ensemble des changements de résidence des individus, y compris ceux qui ont lieu à « l'intérieur de la plus petite unité administrative du pays ». Les données d'un tel registre, lorsqu'elles sont tenues à jour, permettent de connaître la population du pays à n'importe quelle date depuis leur établissement. Mais cette solution – que la France, mais aussi tous les pays européens tiennent un registre de population, seul moyen de disposer d'une information continue – suscite maintes réticences politiques depuis la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, certains soulignent que le fichier des bénéficiaires de l'assurance-maladie est déjà proche d'un registre de population et qu'il suffirait de l'utiliser, en le modifiant quelque peu pour le débarrasser de son aspect policier.
La présentation de ce projet de rénovation de recensement en avril 1999, s'il a soulevé sa part d'interrogations chez les élus, les agents territoriaux, les chercheurs, souligne les préoccupations de professionnels inquiets de ne plus disposer des outils leur permettant d'apprécier pleinement les tendances d'évolution démographique, de ne plus pouvoir reconstituer « leur territoire », y effectuer les cartographies et les analyses qui étaient de leur ressort, bref d'avoir plus à perdre qu'à y gagner.
Étienne Marie,
journaliste