La résistance contre les OGM devient générale
Quelle place faut-il donner, en Europe et dans le monde, aux plantes transgéniques, ces variétés de grande culture dont le patrimoine héréditaire a été manipulé pour accroître leurs qualités agronomiques ? Comment mesurer et contrôler les risques que présentent ces OGM (organismes génétiquement modifiés) pour la santé ou l'environnement ? Quelle garantie de transparence peut espérer le consommateur, alors qu'il semble techniquement impossible de déceler la présence ou l'absence d'OGM dans nombre de produits alimentaires ? L'année 1998 avait été dominée par les doutes. L'année 1999 fut celle du refus pur et simple.
En France, le vrai coup d'arrêt fut donné un peu plus tôt. Le 11 décembre 1998, le Conseil d'État décidait de ne pas répondre sur le fond à la requête des écologistes qui lui demandaient, au nom du principe de précaution, d'interdire la commercialisation du maïs transgénique de la société suisse Novartis. La haute juridiction préféra renvoyer le problème à la Cour de justice des Communautés européennes, chargée de lui indiquer l'étendue de ses propres compétences en la matière. Conséquence concrète : la suspension de la mise sur le marché de ce maïs, ordonnée provisoirement par le même Conseil d'État quelques semaines plus tôt, resterait en vigueur jusqu'à ce que la Cour de Luxembourg rende sa sentence. Soit dans un délai de un à trois ans. Cette décision, qui reçut l'approbation des mouvements « anti-OGM », eut un autre intérêt : elle permit de resituer le débat à sa juste place. Depuis l'arrivée en Europe, en 1996, des premières plantes transgéniques commercialisées, leur développement dans les pays de l'Union avait été d'autant plus chaotique qu'il s'appuyait sur une réglementation quasiment inapplicable. Parce qu'il était le premier sur les rangs, mais aussi parce qu'il concerne une espèce de très grande culture, c'est sur le maïs transgénique de Novartis que s'était concentré l'essentiel de la crise. Un maïs contenant plusieurs gènes étrangers, parmi lesquels un gène insecticide extrait de la bactérie Bacillus thuringiensis (Bt) et dirigé contre la pyrale, principal ravageur des cultures de maïs.
Après avoir fait l'objet d'une première valse-hésitation de la part des pouvoirs publics, la culture du maïs Bt avait finalement été autorisée, en novembre 1997, par le gouvernement français. Celui-ci, dans la foulée, avait annoncé qu'aucun autre feu vert ne serait accordé à une plante transgénique avant les conclusions de la « Conférence des citoyens » sur l'utilisation des OGM en agriculture et dans l'alimentation, organisée en juin 1998 sous l'égide de l'Assemblée nationale.
Vous avez dit OGM ?
– Qu'est ce qu'un organisme génétiquement modifié ? Un organisme vivant dont on a modifié le patrimoine génétique en y « greffant » un ou plusieurs gènes issus d'un autre organisme vivant. Ce processus, appelé « transgenèse », permet de transférer des gènes d'une espèce à une autre, par exemple d'une bactérie à une plante ou d'un humain à un animal.
– Quels sont les gènes transférés ?
En laboratoire, l'éventail est très large, et intéresse la médecine (production d'anticorps humains par des souris, par exemple) comme l'agriculture. Dans ce dernier secteur, les premiers produits commercialisés contiennent des gènes de résistance à des herbicides ou à des insecticides. Afin de vérifier la présence du gène désiré dans la plante, on introduit aussi des gènes « marqueurs », qui sont souvent des gènes de résistance à certains antibiotiques.
Des « flux de gènes » dans l'environnement
Au sortir de ce débat (premier du genre en France), les « citoyens » avaient rendu leurs conclusions : « oui, mais avec prudence » à la culture du maïs transgénique, « non, pour le moment » à celle des autres plantes tels le colza ou la betterave, dont le mode de reproduction présente un risque de « flux de gènes » non contrôlable dans l'environnement. Par ailleurs, ils réclamaient un étiquetage fiable et une traçabilité des aliments contenant des OGM. Leur volonté rejoignait ici celle du Conseil des ministres européens de l'agriculture, pour qui les aliments contenant des OGM ou des produits dérivés devraient, à partir du 1er septembre 1998, le mentionner clairement. Mais la chose, dans la pratique, se révéla impossible. Quelle que soit la bonne volonté des distributeurs, la détection d'infimes proportions d'OGM présents dans un paquet de chips ou de corn-flakes reste quasiment irréalisable, tant techniquement que financièrement.