L'Ulster

Après les élections législatives au Royaume-Uni au mois de mai 1997 et en république d'Irlande au mois de juin de la même année, les deux nouveaux Premiers ministres, Tony Blair et Bertie Ahern, devaient reprendre la recherche d'une sortie négociée du conflit nord-irlandais. Leurs prédécesseurs, aussi bien à Londres qu'à Dublin, avaient beaucoup œuvrer pour faire avancer un dossier qui restait marqué par la nécessité de mettre sur pied de nouvelles formes de relations entre unionistes, nationalistes et républicains à l'intérieur de l'Irlande du Nord, entre l'Irlande du Nord et la république d'Irlande et entre l'île irlandaise et l'île britannique.

Depuis 1985, les deux capitales avaient fait des progrès considérables dans l'élaboration d'un compromis, mais, à la veille des élections, plusieurs obstacles subsistaient, empêchant un accord en bonne et due forme. En voici les principaux : la poursuite de la violence politique de la part de l'IRA, qui avait repris la lutte armée en février 1996 après un premier cessez-le-feu en 1994 ; un gouvernement faible à Londres, incapable de s'imposer sur les unionistes nord-irlandais, et un refus de la part de ces derniers d'accepter une place pour le Sinn Féin à la table de négociation aussi longtemps que l'IRA n'aurait pas, d'une part, mis fin à sa guerre et, d'autre part, déposé les armes.

L'accord du Vendredi saint

Les résultats des élections ont profondément modifié la situation. La victoire travailliste qui a donné à Tony Blair une impressionnante majorité à la Chambre des communes et la ferme volonté de ce dernier de faire avancer le dossier nord-irlandais ont réglé le problème de l'indécision et de l'hésitation qui prévalaient depuis quelque temps sous les conservateurs. Le succès enregistré par le Sinn Féin lors de la même élection en Irlande du Nord accroît considérablement l'influence de Gerry Adams auprès de l'IRA. En effet, le parti arrive en troisième position après le Parti unioniste et le SDLP (Parti social-démocrate et travailliste) et devance le DUP (Parti unioniste démocratique) du pasteur Paisley. Fort du renforcement de son autorité et satisfait de la volonté de la part du gouvernement britannique d'arriver à une solution, le chef du Sinn Féin parvient, fin juillet, à convaincre l'armée républicaine d'arrêter les hostilités, ce qui lui permet de se joindre aux négociations le 15 septembre 1997. Son arrivée n'entraîne pas le départ du Parti unioniste, qui, tout en insistant sur le nécessaire désarmement de l'IRA, accepte la présence du Parti républicain à la table de négociation. Il en est de même pour les deux petits partis qui sont proches des paramilitaires protestants. Les représentants du SDLP et du parti interconfessionnel de l'Alliance complètent l'équipe de négociateurs nord-irlandais. Seul le DUP refuse de siéger. L'aboutissement sera l'accord du Vendredi saint, le 10 avril 1998. Il aura fallu la volonté de l'IRA de privilégier la voie politique, l'acceptation de la part du Parti unioniste de la nécessité d'un compromis constitutionnel, ce qu'il a toujours refusé de faire jusqu'alors, l'investissement important de Bruxelles, notamment financier, en faveur de la région et des efforts considérables et prolongés de la part de Londres, Dublin et Washington pour qu'un tel accord soit signé. Les interventions des deux Premiers ministres ont été, en fin de parcours, décisives. Au mois de mai, deux référendums, l'un au Nord et l'autre au Sud, ont vu des majorités très importantes se dégager en faveur de l'Accord. Au Nord, la majorité catholique-nationaliste a été bien plus importante que celle dégagée chez les protestants-unionistes. Le 25 juin, on organise une élection en vue de la mise sur pied d'une Assemblée en Irlande du Nord, premier pas vers l'application de l'Accord. De nouveau, une nette majorité s'est prononcée pour des candidats qui s'étaient déclarés en sa faveur.

Une paix fragile

L'Accord lui-même est un document d'une grande complexité, avec trois grands volets : constitutionnel, institutionnel et réformiste. Les deux États, britannique et irlandais, s'engagent à modifier leurs Constitutions sur le chapitre de leur souveraineté sur l'Irlande du Nord. Dorénavant, ce sont les Irlandais du Nord qui feront collectivement le choix de l'État auquel ils appartiennent. Côté institutions, l'Accord prévoit la création d'une Assemblée nord-irlandaise, élue à la proportionnelle, qui doit choisir en son sein un gouvernement composé d'élus des deux communautés. Le consentement ou l'accord intercommunautaire est donc le principe retenu pour toute future décision de l'exécutif. S'ajoute à l'Assemblée un conseil Nord-Sud doté de pouvoirs consultatifs et, à terme, décisionnels dans des domaines qui seront décidés par Belfast et Dublin. On pense ici à des questions telles que le tourisme et les infrastructures qui, par nature, concernent l'ensemble de l'île. Il est prévu de mettre en place un conseil des îles qui regrouperait occasionnellement, pour consultation, des représentants des Assemblées nord-irlandaise et galloise, du Parlement écossais ainsi que des deux Parlements souverains afin de débattre de questions d'un intérêt commun. Enfin, les signataires ont accepté que des réformes soient appliquées dans des domaines aussi contentieux que la police, les droits de l'homme et la culture.

Paul Brennan

Les résistances

Il serait illusoire de penser que les traces laissées par des divisions entre catholiques et protestants vieilles de quatre cents ans et par un conflit violent vieux de trente ans soient effacées. Il reste toujours une opposition unioniste à l'Accord, qui, bien que minoritaire, est néanmoins puissante. De même, l'ordre d'Orange s'est déclaré opposé à l'Accord. Il reste également des forces armées dissidentes, surtout chez les loyalistes-protestants, qui entendent tout taire pour saboter les chances d'une paix fondée sur la justice.