Personnalité crépusculaire, introvertie et modeste, Alexandre Zemlinsky (1871-1942) fut longtemps écrasé par deux géants qu'il admirait, Gustav Mahler et Arnold Schönberg. James Conlon, qui s'en est fait le champion, a su imposer à l'Opéra-Gamier la première représentation de l'un de ses opéras sur une scène française. Quoique né trop tard, ou trop tôt, Zemlinsky occupa une place prépondérante dans la vie musicale de son temps. Alma Schindler, qui fut son élève, subit l'ascendant de cet homme passionnément épris d'elle mais qu'elle repoussa cruellement. Zemlinsky devait être hanté sa vie durant par le jugement brutal de la future femme de Mahler, qui engendra chez lui un si puissant complexe physique qu'il devint le motif conducteur de l'essentiel de sa création lyrique. Créé à Cologne en 1922, inspiré d'Oscar Wilde, Der Zwerg (« le Nain ») est de ceux-là. La production proposée par l'Opéra de Paris a mêlé le meilleur et le pire dans une surprenante scénographie. Côté dramaturgie, tout semble faux jusqu'à l'arrivée du nain, moment où la vérité commence à s'imposer. L'idée de souder à David Kuebler, nain bouleversant de douleur et d'humanité, un Zemlinsky poupée-marionnette est bienvenue. Susan Anthony lui donne une chaleureuse réplique, et Andrew Shore s'avère un énergique ordonnateur. Seule déception, l'Infante de Christine Schäfer, au physique en totale adéquation avec le personnage mais à la voix étonnamment fluette. Dans l'Enfant et les sortilèges, qui lui est étrangement associé, James Conlon n'a pu insuffler grâce et vivacité, qui font pourtant la richesse de l'ouvrage de Maurice Ravel.
Salammbô, première création mondiale de l'Opéra-Bastille
Écrit sur un livret que Jean-Yves Masson a tiré du roman éponyme de Gustave Flaubert, Salammbô, troisième opéra de Philippe Fénelon, est la toute première partition créée à l'Opéra-Bastille depuis son inauguration en 1989. Né en 1952, élève d'Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris, épris de musique allemande, mais aussi italienne et de toute l'histoire de la musique, passionne de peinture, de littérature et de théâtre, Fénelon a élu domicile en Espagne. C'est dans la littérature qu'il puise le sujet de son premier opéra, empruntant au Don Quichotte de la Manche de Cervantès et à Franz Kafka pour donner naissance au Chevalier imaginaire, que créa le théâtre du Châtelet en 1992. Riche d'une écriture coulant avec une aisance raffinée, alliant subtilement atonalité et tonalité, rendant hommage a Wagner, Puccini, Messiaen et Zimmermann, Salammbô séduit par la richesse du tissu sonore modelé par l'orchestre, la clarté de la prosodie qui donne au texte une totale lisibilité et à l'œuvre sa théâtralité. Emily Golden est une ardente Salammbô, Gidon Saks un noir Hamilcar, Patrick Raftery (Mâtho) et Stephen O'Mara (Narr' Havas) surmontent avec plus ou moins de bonheur la vocalité tendue des deux parties de ténors.
Festival d'Aix-en-Provence, An I
« C'est extraordinaire, nous retrouvons enfin notre festival », disait une vieille aixoise qui attendait qu'une hôtesse lui procure enfin une place pour Don Giovanni. Ainsi, l'un des paris de Stéphane Lissner, sitôt nommé à la tête du Festival d'Aix-en-Provence, s'est réalisé bien avant l'arrivée des festivaliers : réconcilier les Aixois avec leur festival. Pour son cinquantenaire, le Festival a ainsi retrouvé les faveurs de ses hôtes. En deux semaines, plus de 2 000 « passes » ont été vendus pour 62 « master classes », répétitions, ateliers publics, récitals, concerts. Le Festival d'Aix-en-Provence ne se limite donc plus aux seules trois semaines de représentations de juillet, mais s'étend sur huit semaines entières, celles de juin étant vouées à l'Académie européenne de musique, dont les élèves forment l'ossature artistique des productions de juillet. Car la grande originalité du nouvel Aix est sa dimension pédagogique. Du coup, la manifestation a investi un florilège de lieux inédits, Cité du livre, Hôtel Maynier d'Oppède, église de Puyricard, théâtre du Jeu-de-Paume, jusqu'à la cour de la mairie. Autre lieu inédit, les ateliers de Venelles, centre de production des décors et costumes des spectacles du Festival où sont également installés studios et salles de répétition. C'est là que, dès le 3 juin, les équipes de Don Giovanni, Curlew River et Didon et Enée ont répété, jusqu'à ce que chacun investisse son espace de création. À l'Académie européenne de musique, vingt-cinq professeurs, compositeurs, chanteurs, instrumentistes, metteurs en scène ont enseigné à une centaine d'instrumentistes, chanteurs, choristes de moins de trente-cinq ans sélectionnés sur audition, formés dans des « master classes » publics avant les représentations aixoises suivies de tournées européennes. Autre département de l'Académie, les « workshops » de composition d'œuvres scéniques. Placée sous l'égide de Pierre Boulez, cette classe a réuni cinq compositeurs dûment sélectionnés.