« Aucun ordinateur ne me battra », avait un jour osé affirmer imprudemment Garry Kasparov, que les experts s'accordent à considérer comme le meilleur joueur d'échecs de tous les temps. Pour la première fois de sa longue carrière, le prestigieux champion russe a cependant été dominé par une machine. Déjà, en 1996, Deep Blue, un superordinateur IBM RS/6000 SP équipé de 256 microprocesseurs travaillant en parallèle et capable d'analyser 50 à 100 milliards de coups en trois minutes (le temps moyen nécessaire pour jouer un coup lors d'une partie d'échecs classique), lui avait donné du fil à retordre. Mais Kasparov l'avait finalement emporté par 4 points à 2. Tirant les leçons de la défaite de leur « bébé », les informaticiens d'IBM se sont alors attachés à rendre celui-ci encore plus performant. Ainsi est né Deeper Blue. Ce nouveau matériel possède la même architecture que son prédécesseur, mais il est deux fois plus puissant. Grâce au concours d'un ancien champion d'échecs des États-Unis, Joël Benjami, il est, par ailleurs, apte à mieux « comprendre » la position des pièces et à mieux évaluer leur potentiel à chaque instant de la partie. Dans son imposante mémoire ont été enregistrées toutes les parties connues disputées par Kasparov au cours de sa carrière.

On chercherait en vain la moindre forme d'intelligence dans le mode de fonctionnement de cette machine de 1 400 kg. De ce point de vue, ce n'est qu'un « tas de ferraille », pour reprendre l'expression méprisante par laquelle les amateurs d'échecs se plaisent à désigner familièrement les ordinateurs. Son principal atout est sa puissance phénoménale de calcul, sa capacité à scruter en permanence les soixante-quatre cases de l'échiquier pour simuler et analyser toutes les possibilités susceptibles de se réaliser dans les sept coups à venir, voire plus dans certaines configurations. À cela s'ajoute le fait que la machine, à la différence de l'homme, n'éprouve ni fatigue, ni stress, ni aucune fragilité psychologique.

Les efforts déployés par l'équipe d'IBM pour le match revanche de l'ordinateur se sont avérés payants puisque Deeper Blue a battu Kasparov par 3,5 points à 2,5. Mais le champion semble surtout avoir été déstabilisé par son adversaire. En effet, après avoir infligé à la machine une défaite sans appel lors de la première partie, il a abandonné dans la deuxième alors qu'une possibilité de jeu nul par échec perpétuel s'offrait à lui ; et, dans les parties suivantes, il a commis plusieurs erreurs stratégiques en délaissant notamment son style habituel d'attaquant pour chercher à dérouter l'ordinateur. Même si la victoire de Deeper Blue marque une date dans l'histoire du jeu d'échecs, elle ne représente pas encore l'avènement de la machine imbattable par l'homme.

Philippe de La Cotardière

Les conditions du match

Organisée à l'Equitable Center de New York, sur la 7e Avenue, la rencontre entre Garry Kasparov et l'ordinateur Deeper Blue a été disputée en six parties. Lors de chaque partie, chacun des deux joueurs disposait de deux heures pour effectuer ses quarante premiers coups, puis d'une heure pour les vingt suivants. Ensuite, les deux adversaires avaient chacun une demi-heure pour terminer la partie : celle-ci ne pouvait donc durer plus de sept heures. Le vainqueur du match (l'équipe d'IBM) a touché plus de 700 000 dollars, le perdant, 400 000.

OTAN – Russie : la nouvelle donne

La Russie n'ayant jamais manqué une occasion de dire tout le mal qu'elle pensait de l'extension de l'Organisation atlantique, la rencontre à Moscou (14 mai) entre le secrétaire général de l'Organisation atlantique, Javier Solana, et le ministre russe des Affaires étrangères, Evgueni Primakov, aura constitué une véritable surprise.

L'aggiornamento de Moscou à l'endroit de l'OTAN a pris la forme de l'Acte fondateur sur les relations, la coopération et la sécurité mutuelle entre l'OTAN et la Fédération de Russie. Si le Kremlin, qui désirait un traité en bonne et due forme, n'a obtenu qu'une espèce de charte et s'est vu opposer un ferme refus sur le droit de veto au sujet des futurs élargissements de l'OTAN, en revanche, les mécanismes de consultation mis en place lui offrent des moyens de pression non négligeables sur les décisions de l'OTAN. Et bien que les Occidentaux aient fait valoir que l'Acte fondateur n'était qu'une compensation accordée à Moscou en contrepartie de l'élargissement de l'OTAN à certains pays de l'ancien bloc soviétique, il reste que la Russie a finalement obtenu ce à quoi elle tient le plus : avoir son mot à dire dans la stabilité et la sécurité en Europe. En témoignent les institutions instaurées par l'Acte fondateur. Ainsi, les Russes et les membres de l'OTAN siégeront désormais dans un « conseil conjoint », présidé par le secrétaire général de l'OTAN et un haut diplomate russe. La Russie pèsera donc d'un poids égal à celui des alliés occidentaux dans le fonctionnement de ce conseil.

Hypothèses contradictoires

Les Russes sont-ils pour autant décidés à jouer la carte de la coopération ou celle de la perturbation ? Première hypothèse : ils peuvent s'intégrer dans les mécanismes de décisions multilatérales, prendre leur part de la stabilité en Europe et participer à des opérations de maintien de la paix. Seconde hypothèse : ils pourront bloquer les initiatives des Occidentaux, voire se refaire une « clientèle » auprès des États frustrés par l'élargissement sélectif de l'alliance atlantique. Il est vraisemblable que l'attitude de la Russie dépendra de l'évolution interne de la Fédération. Si elle parvient à sortir de ses difficultés économiques et sociales, à surmonter sa crise d'identité et à définir de manière rationnelle ses nouveaux intérêts stratégiques, la Russie sera en position de tirer le meilleur parti de la nouvelle donne en Europe. Mais que le Kremlin vienne à se crisper dans des attitudes nationalistes, qu'il considère que son avenir est davantage en Asie que sur le Vieux Continent, et l'Acte fondateur ne sera plus qu'une coquille creuse.