Apple sauvé par Microsoft ?
Le 7 août 1997, lors de la manifestation annuelle organisée pour les fanatiques du Macintosh, Steve Jobs annonce devant un parterre médusé l'entrée de Microsoft dans le capital d'Apple. C'est la fin d'une guerre fratricide de près de quinze ans où le « méchant géant » a fini par triompher du « gentil nain ».
L'histoire commence en 1985, date à laquelle Steve Jobs, le cofondateur d'Apple, est sèchement débarqué par son conseil d'administration. Paradoxalement, l'entreprise triomphe. Elle vient d'écouler plusieurs centaines de milliers de Macintosh, un ordinateur personnel programmé pour rendre extrêmement simple (« conviviale » disait-on alors) son utilisation. Apple dote en outre le « Mac » d'un outil révolutionnaire, aujourd'hui universellement adopté : la souris. Mais la firme de Cupertino ne profitera pas longtemps de l'incroyable avance technologique du Mac sur les autres micro-ordinateurs (ou PC).
Dans les années 80, Apple bénéficie pourtant pleinement de l'avantage concurrentiel que lui confère le Macintosh. Son objectif est alors de conquérir de nouvelles parts de marché. La firme refuse donc obstinément de rendre compatibles ses matériels avec les PC commercialisés par IBM, son principal concurrent. Là réside l'erreur stratégique d'Apple. Car, dans le même temps, le géant informatique adopte une stratégie rigoureusement inverse. Dès 1980, il confie la conception du système d'exploitation (Ensemble de lignes de code qui permet aux ordinateurs de faire fonctionner les logiciels d'application contenus en mémoire.) de son IBM-PC à Microsoft. Cette petite société installée près de Seattle n'a d'ailleurs aucune compétence dans ce domaine. Elle achète à un obscur informaticien, Tim Paterson, le programme QDOS, qu'elle rebaptisera MS-DOS (Microsoft-Disk Operating System). Parallèlement, IBM, qui doute encore de l'avenir du micro-ordinateur, n'hésite pas à céder la licence d'exploitation de son PC à des dizaines de constructeurs. Ce sont ces fameux « cloneurs » qui, Compaq et Hewlett Packard en tête, finiront par cannibaliser la part de marché de Big Blue sur les ordinateurs personnels. Celle-ci passera en dix ans de 40 % à... 7 %.
Impérialisme du MS-DOS
Désastreuse pour IBM, cette politique systématique de sous-traitance et de cession de licences est une véritable aubaine pour Microsoft. Elle oblige en effet les fabricants (Apple excepté), à adopter le seul système d'exploitation qui équipe les micro-ordinateurs d'IBM : le fameux MS-DOS. Sans coup férir, et alors même qu'il possède un retard technologique important sur son concurrent Apple, Microsoft se trouve donc dès le début des années 80 à la tête d'un quasi-monopole de fait. Il ne lui restera plus qu'à « s'inspirer » des fonctionnalités du système d'exploitation d'Apple pour conforter ce monopole : en 1990, Microsoft lance Windows 3,0, un programme doté d'une interface graphique en tout point semblable à celle du Macintosh, et adopte la souris. Le résultat ne se fait pas attendre : en dix ans, le chiffre d'affaires de Microsoft passera de 300 millions à 11,36 milliards de dollars (1997).
Victime de l'absence de compatibilité de ses matériels, Apple voit dans le même temps sa part de marché se réduire comme une peau de chagrin. À tel point qu'en décembre 1996 l'ex-entreprise phare de la Silicon Valley rappelle en catastrophe Steve Jobs. La firme est au bord du gouffre : ses pertes sont abyssales, son chiffre d'affaires vient d'enregistrer dans la même année une chute de plus de 30 % et sa part du marché mondial des ordinateurs personnels est tombée à 5 %. À titre de comparaison, les micro-ordinateurs équipés des systèmes d'exploitation Windows représentent aujourd'hui plus de 90 % des ventes mondiales !
Steve Jobs est un homme plus attiré par la création que par la gestion (il a fondé tour à tour Next, une compagnie spécialisée dans les logiciels, et Pixar, une société d'animation). Refusant de prendre une responsabilité directe dans l'entreprise, il se contente d'occuper pendant les premiers mois de l'année un vague poste de conseiller, en attendant que Gil Amelio (alors président) démissionne. C'est chose faite en juillet 1997. Un mois plus tard, Steve Jobs annonce la spectaculaire entrée de Microsoft dans le capital d'Apple (moyennant 150 millions de dollars, soit 5 % du capital de son concurrent) et détaille une série d'accords entre sa société et l'entreprise de Seattle. Le soir même, l'action Apple fait un bond de 33 % pour atteindre 26,31 dollars. L'indépendance technologique du fabricant du Macintosh appartient désormais au passé.