Boeing/McDonnell-Douglas : une fusion qui fait du bruit
Le 42e Salon international de l'aéronautique et de l'espace, qui s'est tenu au Bourget du 14 au 22 juin, a été particulièrement marqué par la rivalité entre l'américain Boeing et l'européen Airbus Industrie, qui s'est traduite par des propos peu amènes lors de leurs conférences de presse respectives. Cette rivalité a été exacerbée par la fusion en cours de Boeing et de son compatriote McDonnell-Douglas (MDD), troisième constructeur mondial, dont le secteur avions de ligne n'est plus à présent l'activité dominante, celle-ci étant désormais principalement à caractère militaire. Mais, pour le groupe européen et les gouvernements qui le soutiennent, cette fusion est apparue comme un danger majeur de concurrence insupportable.
C'est, en effet, le 15 décembre 1996 que les dirigeants de Boeing et de McDonnell-Douglas avaient annoncé leur intention de fusionner leurs sociétés, la seconde étant elle-même issue de la fusion antérieure de Douglas et de MDD.
Ce projet suivait de près la fusion récemment intervenue entre deux autres géants de l'industrie aéronautique américaine, Lockheed-Martin et Northrop-Grumman, un mariage d'un montant de 11,6 milliards de dollars, devant créer un chiffre d'affaires de 3 milliards de dollars dans le domaine de la technologie de pointe, qui emploie 230 000 personnes. La fusion des deux avionneurs américains — Boeing acquérant le groupe MDD pour un montant de 15 milliards de dollars — devait aboutir à la création de la plus grande société aérospatiale du monde, avec un chiffre d'affaires annuel estimé à 50 milliards de dollars pour un effectif de 200 000 employés.
Il est bien évident qu'une telle position dominante – permettant à Boeing, qui venait, en outre, de conclure pour vingt ans des contrats d'exclusivité de ventes d'avions de ligne à trois des majors américaines, American Airlines, Delta Airlines et Continental Airlines, ce qui assure au groupe un réseau de maintenance et de service à la clientèle couvrant au total 84 % de la flotte aérienne mondiale actuelle – ne pouvait que susciter l'hostilité du groupe Airbus Industrie. En vingt ans, la firme européenne est devenue pour Boeing le seul concurrent mondial, capable d'offrir à sa clientèle une famille complète d'appareils court-, moyen-, long- et très long-courriers dotés de la technologie la plus avancée (commandes de vol électriques, informatique et électronique de pointe) et une totale communauté entre la gamme d'appareils biréacteurs à fuselage étroit (A319, A320, A321) et celle des wide body, biréacteurs A330 et quadriréacteurs A340 ; ces derniers bénéficient d'une maintenance standardisée et peuvent être indistinctement pilotés par les mêmes équipages techniques, ce qui n'est pas le cas pour les différents types de Boeing bi- et quadriréacteurs et MDD bi- et triréacteurs.
Autre aspect de la querelle : tandis que les avionneurs américains, via les commandes militaires de la NASA, couvrent largement – et c'était, en particulier, largement le cas de MDD – les dépenses de recherches et de développement ultérieurement utilisées aussi dans le cadre des avions civils, l'administration américaine ne s'est pas privée de mettre en cause les avances gouvernementales consenties au groupe Airbus Industrie pour l'étude et la réalisation de nouveaux appareils de la gamme, alors qu'il s'agit là d'avances remboursables et effectivement remboursées par les avionneurs européens à l'inverse de leurs concurrents américains ; ce que les premiers n'ont pas manqué de faire observer aux seconds.
À l'occasion du Salon, Jean Pierson, administrateur-gérant d'Airbus Industrie, n'a pas été le seul à monter au créneau. Les quatre ministres des Transports européens concernés – de France, d'Allemagne, du Royaume-Uni et d'Espagne – ont également fait connaître leurs inquiétudes devant cette situation, suivis par le Comité consultatif de l'Union européenne sur les fusions et concentrations qui, le 4 juillet, a refusé (à la quasi-unanimité des quinze pays, l'Italie exceptée) le projet de rapprochement entre les deux géants américains (qui constitueront alors le premier groupe aéronautique mondial avec un CA, de 280 milliards de francs). Cet avis défavorable s'opposait à celui rendu le 1er juillet par la Commission fédérale américaine du commerce. Le Comité a estimé en effet que si MDD n'est plus un concurrent viable en tant que tel, il représentait encore 24 % de la flotte mondiale d'avions commerciaux en service. Il a redouté par ailleurs que Boeing ne finance ses prochains programmes civils grâce aux budgets militaires de MDD, ce qui risquait d'aller à l'encontre des accords Europe-États-Unis de 1992 sur les aides industrielles.
La réaction européenne
Annoncé le 4 juillet, cet avis a alors amené Boeing à revoir sérieusement les conditions de la fusion prévue, dans l'espoir de modifier favorablement la décision définitive de la Commission européenne, attendue le 23. C'est pourquoi Phil Condit, P-DG de la Boeing Company, faisait connaître, peu après, les concessions auxquelles l'avionneur était prêt pour obtenir le feu vert européen. En particulier, Boeing acceptait de céder sous licence les brevets obtenus dans le cadre des contrats passés avec le gouvernement des États-Unis aux autres constructeurs aéronautiques, sur une base non exclusive et moyennant le versement de royalties raisonnables ; de soumettre pendant dix ans à la Commission européenne un rapport annuel énumérant les brevets non expirés obtenus dans le cadre de contrats gouvernementaux ; de ne pas interférer indûment dans les relations actuelles ou futures entre ses fournisseurs et les autres constructeurs aéronautiques ; et de renoncer aux accords exclusifs conclus avec les trois majors américaines.
Après étude de ce dossier, la Commission européenne faisait connaître à Boeing, le 30 juillet, son approbation définitive à la fusion. Dès le 25 juillet, les actionnaires des deux sociétés avaient accepté la fusion, par 99,08 % pour Boeing et par 75,8 % pour MDD. Tout en en admettant le principe, James McDonnell III, fils du fondateur de McDonnell Aircraft Corporation, créée en 1939, avait voté négativement pour protester contre la disparition du nom de McDonnell du logo de la nouvelle société, qui a officiellement commencé ses activités le 4 août.
Philippe Delaunes