En octobre, l'Afrique centrale retombe dans le cauchemar. Jamais guérie des métastases laissées par le génocide du Rwanda, en 1994, toute la zone des « grands lacs » retourne à l'horreur. Soutenus par les Tutsis, au pouvoir à Kigali, les Banyamulenges des provinces orientales du Zaïre arrachent le contrôle du Kivu à l'armée en déroute de Kinshasa. Encadrés par des miliciens responsables du génocide, les Hutus, qui s'étaient réfugiés au Zaïre après les massacres de 1994, sont contraints à un deuxième exode.
Les Occidentaux s'inquiètent. Les ethnies nilotiques, qui contrôlent le Rwanda, le Burundi et l'Ouganda, ne cherchent-elles pas à créer un « Tutsiland » ? En bousculant les frontières de la colonisation, ce projet risque de déstabiliser l'ensemble du continent noir.
La France réclame l'envoi d'une force multinationale pour secourir les réfugiés. Mais Paris est soupçonné d'avoir pour objectif le maintien au pouvoir du maréchal-président Mobutu. Finalement, le retour soudain au Rwanda des réfugiés hutus rend inutile cette action militaire.
Embellies ?
Heureux contraste : dans l'ex-Yougoslavie, les armes se sont tues. En Bosnie, l'application de la « paix de Dayton » se poursuit sans accroc dramatique. Le 14 septembre, des élections législatives et présidentielle peuvent effectivement avoir lieu. Mais, en Serbie, Slobodan Milosevic, l'homme qui fut le principal responsable de l'explosion du conflit yougoslave en 1991, lutte pour sa survie politique. En décembre, il a annulé le scrutin municipal que son Parti socialiste avait perdu. Indignés, les électeurs sont descendus dans la rue. Chaque jour, des centaines de milliers de personnes manifestent à Belgrade et en province. Combien de temps Milosevic tiendra-t-il ?
L'agitation chronique de la planète ne représente qu'une partie de la réalité. Il y a aussi des efforts pour organiser la stabilité.
Lee Teng-hui, à Taïwan, fait de son mieux pour rassurer Pékin. Les pays de l'ASEAN se gardent d'irriter leur formidable voisin, tandis que le Japon se montre encore plus déterminé à rester sous le parapluie nucléaire des États-Unis.
Chez eux, les Russes espèrent s'engager sur le chemin de l'apaisement. Le 3 juillet, la réélection de Boris Eltsine à la présidence, face au candidat du PC, écarte la menace d'un retour au communisme. Cette analyse est confirmée, en novembre, par le succès de l'opération cardiaque d'Eltsine.
Optimisme également dans les rangs des Quinze. Après la grande peur de la « vache folle » et les querelles sur la conférence intergouvernementale qui doit préparer l'élargissement vers l'Est, l'année s'est bien terminée. Grâce au compromis franco-allemand sur le pacte de stabilité, officialisé à Dublin, le 14 décembre, la monnaie unique a toutes chances de devenir réalité.
À tout cela s'ajoutent les progrès de la réforme de l'OTAN. Prête à s'ouvrir à l'Europe centrale (Pologne, Hongrie, République tchèque), l'Alliance atlantique a pris soin, tout au long de 1996, de calmer Moscou en négociant une association avec la Russie.
En Asie, la Chine se montre moins aimable. Elle veut imposer sa volonté de puissance régionale. En mars, Pékin n'hésite pas à faire tirer des missiles au large de Taïwan pour dissuader les électeurs de l'île de reconduire le président Lee Teng-hui, trop imprévisible. Tout fiers de leur nouvelle démocratie, les Taïwanais donnent 54 % des suffrages à Lee.
Superpuissance unique depuis la chute de l'URSS, les États-Unis entendent, eux, se faire obéir du monde entier. Mais, contrairement à la Chine totalitaire, la démocratie américaine ne peut viser que l'« hégémonie de velours ».
Réélu en novembre pour son second et dernier mandat, Bill Clinton va pouvoir exploiter une liberté de manœuvre désormais totale. Contre les autres membres du Conseil de sécurité, il refuse à Boutros Boutros-Ghali un second mandat comme secrétaire général de l'ONU et le fait remplacer par le Ghanéen Kofi Annan.
C'est Washington qui a empêché la mise sur pied d'une force d'intervention au Zaïre. Ce sont encore les États-Unis qui ont opposé leur veto à la nomination d'un amiral français à la tête de la région sud de l'OTAN.
Il n'y a que la France pour contester cet alignement sur la Maison-Blanche. Courant de Varsovie à Tokyo et d'Afrique en Syrie, Jacques Chirac n'a cessé de réclamer, pour l'Europe, des parts de marché en Asie et le coparrainage du processus de paix au Proche-Orient. Même l'incident spectaculaire qui, en octobre, à Jérusalem, l'oppose aux services de sécurité israéliens ne le décourage pas.
Ce refus de la pensée unique des Anglo-Saxons, c'est l'« exception française ». Disant très haut ce que ses partenaires pensent tout bas, Jacques Chirac assume le rôle de l'imprécateur.
Charles Lambroschini
Rédacteur en chef au Figaro