Photographie
Après le festival houleux et plutôt controversé de l'an dernier, Arles a retrouvé son souffle grâce à son nouveau directeur artistique, le Catalan Joan Fontcuberta, avec une affiche qui s'interroge sur le vrai et le faux à travers 17 expositions et 4 projections intitulées « Réels, Fictions, Virtuel ». Cette approche de l'image est d'autant plus intéressante qu'elle se situe dans la foulée du lancement du format technique APS (Advanced Photographie System).
APS
Cette année, la photographie argentique est entrée dans l'ère du numérique grâce à l'APS et, fait significatif quant à l'importance de l'événement, l'ensemble de l'industrie fut présent au baptême. Bien plus qu'un format supplémentaire, ce système conçu par Canon, Fuji, Kodak, Minolta et Nikon est déjà adopté par une quarantaine d'entreprises, dont Agfa. L'impact de cette innovation sera sans doute aussi retentissant que fut, à l'époque, l'arrivée de l'instantané. Jusqu'à présent, la supériorité en finesse et en grain de l'argentique par rapport à ses homologues numériques lui avait assuré sa survie malgré les nouvelles technologies de la prise de vue. Et voilà que le système numérique se retrouve de nouveau à l'avant-scène. Ce nouveau support qu'est l'APS permet en quelques minutes de faire apparaître l'image sur un écran d'ordinateur, où l'on peut à loisir modifier les couleurs, recadrer les images, les transformer ou les truquer, effacer la poubelle ou le poteau électrique, renforcer les contrastes ou la lumière, ou inviter Johnny Hallyday au mariage de sa cousine. Bref, c'est un nouveau monde qui s'ouvre aux amateurs comme aux professionnels. Les images ainsi travaillées peuvent être ensuite non seulement stockées ou imprimées mais aussi envoyées dans le cyberespace via un modem. L'œil de Doisneau et la magie de l'instant parfait remplacés par le mirage de la technologie...
Certes, mais aussi tout un nouveau champ d'action qui s'ouvre pour le créateur de demain. L'ambiguïté de ces images qui flirtent avec les nouvelles technologies illustrées cette année à Arles laisse parfois le spectateur plus préoccupé par le souci de démêler le vrai du faux que par celui de s'interroger sur le sens même des images offertes à son regard. Cette phase transitoire où le public arlésien semblait plus fasciné par les supercheries que par le propos a tout de même été ponctuée par la découverte d'images bouleversantes comme celles consacrées aux rétrospectives du photographe américain Ralph Eugène Meatyard (1925-1972).
Les deux vedettes du festival – William Wegman et Joel Peter Witkin – furent entourées d'un savant mélange où Joan Fontcuberta a aussi fait la part belle aux femmes : Grete Stern, puis l'exposition collective « Le masque et le miroir », Cindy Sherman, Sophie Calle, Sinje Dillenkofer, Annie Sprinkel...
Le ministre de la Culture, Philippe Douste-Blazy, prudemment absent l'an dernier, profita de l'inauguration pour « promotionner » le lancement de son « plan photo ».
De l'argent pour l'image
Cette initiative, dotée d'un budget de 80 millions de francs (somme qui risque d'être difficile à réunir en cette période de rigueur budgétaire), s'articule sur quatre volets : création d'une galerie nationale, lancement d'une campagne d'inventaire et de restauration du patrimoine cinématographique, stimulation du marché par la mise en place d'un salon annuel et relance de la création contemporaine, qui devrait être couronnée en l'an 2000 par des achats publics dont le montant irait jusqu'aux 5 millions de francs. On chuchote en coulisse que cette initiative est due notamment au fait que M. Douste-Blazy avait été agacé par le retentissement médiatique dont a bénéficié la mairie de Paris quand celle-ci, piétinant quelque peu les plates-bandes du ministère, a ouvert en février sa magnifique Maison européenne de la photographie. En tout cas, après des ministres « musique » et « peinture », quelques subsides pour l'image fixe seront les bienvenus !
Parmi les expositions de ce premier musée consacré à la photographie (le MEP), situé en bordure du Marais, à Paris, en l'hôtel Hénault de Cantobre, on notera celle d'un photographe complètement à contre-courant : à l'heure où la photographie a envahi le reste du monde plasticien en flirtant avec la sculpture, en se déguisant en peinture, en explorant le cinéma comme la vidéo, Arnaud Claas – Arlésien d'adoption – nous offre des images intemporelles où la rigueur se mélange à l'émotion. Loin du gigantisme des tirages spectaculaires et tapageurs, l'univers de Claas porte à la méditation. Les paysages, les natures mortes, les objets, les ambiances familiales sont tirés en petits formats présentés sous verre et réunis en séries comme autant de pages dans l'histoire d'un regard. Cet ex-musicien, amateur de Jean-Sébastien Bach, a le même décalage artistique avec son époque que son compositeur préféré.
Perpignan
L'automne apportera une nouvelle confirmation : celle de l'intérêt du festival Visa pour l'image de Perpignan. Pour sa huitième édition, le Visa exalte plus que jamais la grandeur du photojournalisme. Trente-cinq expositions, près de 200 agences représentées, des reportages extraordinaires, allant de l'immigration clandestine des Mexicains vers les États-Unis (Patrick Bard) aux cuisines de Joël Robuchon (Hervé Amiard), toutes ces photos attestent à la fois du côté vivant et du côté moribond de la photo de presse, menacée par l'image de télévision. Enfin, l'année se termine en beauté avec la vaste rétrospective, « 70 ans de déclics », consacrée par le Pavillon des arts, aux Halles à Paris, à Willy Ronis. La splendeur de la vie quotidienne...
Patricia Scott-Dunwoodie