En Égypte, deux conceptions de l'islam se trouvent également en conflit. Une procédure judiciaire a été engagée par le cheikh Youssef al-Badri pour obliger Naguib Mahfouz, prix Nobel, à divorcer. Sa femme, en effet, se serait rendue coupable d'apostasie. Le film l'Émigré, de Youssef Chahine (sorti en 1994), fait actuellement l'objet d'un double procès en hérésie, l'un intenté par un avocat musulman, l'autre par un copte orthodoxe.

Par contre, avec le soutien de l'imam de la prestigieuse université musulmane d'al-Azhar, Mohammed Tantaoui, le ministre égyptien de la Santé a interdit l'excision dans les hôpitaux publics et a lancé une campagne sensibilisant les couches populaires – qui y restent attachées – sur les dangers de cette pratique. De plus, cette même université a publié un Guide islamique pour le planning familial. Il affirme que les moyens contraceptifs modernes (préservatif, stérilet, pilule) sont licites et que « l'espacement des grossesses n'est nullement prohibé par la charia [loi islamique] ».

Autre signe de relative détente, cette fois, dans le sous-continent indien, où, pourtant, les tensions restent vives : le pèlerinage annuel des hindous au linga (ou phallus de Shiva) dans la célèbre grotte d'Amarnath, au Cachemire, troublé l'an dernier par des bombes provenant de militants musulmans, a pu s'effectuer, en 1996, dans un calme seulement gêné par de mauvaises conditions climatiques.

Nul signe d'apaisement au contraire dans la dramatique guerre civile algérienne. La communauté catholique a été soumise à deux très douloureuses épreuves. Un commando du GIA a enlevé, puis assassiné au printemps sept moines trappistes cisterciens bien intégrés dans la population. Peu de temps après (1er août), Pierre Claverie, évêque d'Oran, était à son tour victime d'un attentat. L'émotion du petit peuple musulman algérien devant ces crimes montre que ceux-ci ne traduisent nullement un sentiment antichrétien de la part de la population algérienne. Mais la disparition tragique d'hommes qui luttaient pour un « vivre ensemble » interreligieux en Algérie rend le climat de ce pays encore plus délétère.

France

En France, plusieurs événements ont mis en cause les rapports entre religion et laïcité. Au début de l'année, le Grand Orient de France a voulu dépasser les tensions qui s'étaient manifestées en 1995, et il a élu comme grand maître Jacques Lafouge, avocat au barreau de Bordeaux. Le nouvel élu a dénoncé aussitôt la « dérive » que représentait, pour lui, la messe solennelle à Notre-Dame organisée par le chef de l'État lors de l'enterrement de François Mitterrand. Il ne fut pas le seul à émettre certaines réserves. Jacques Stewart, président de la Fédération protestante de France, a indiqué que les obsèques religieuses ayant été célébrées à Jarnac, les différentes familles de pensée (religieuses ou non) auraient pu participer à un hommage dans un « lieu non religieux ». Cela aurait évité d'« écorner » la laïcité.

On a retrouvé de semblables réticences envers la commémoration du 1 500e anniversaire du baptême de Clovis et la visite en France, à cette date, de Jean-Paul II. Le comité officiel associait un représentant du protestantisme et un représentant du judaïsme à des autorités catholiques, c'est-à-dire, curieusement, à des membres des anciens « cultes reconnus » abolis par la loi de séparation de 1905. Fallait-il commémorer un tel baptême ? Oui, selon certains, comme l'historien Pierre Chaunu : la mémoire d'un peuple s'incarne à travers les mythes, et le christianisme demeure une composante fondamentale de l'histoire de France. Non ou, en tout cas, pas de cette façon, ont rétorqué ceux qui ont vu dans la venue du pape à Reims le jour anniversaire de la proclamation de la République (« pur hasard » a-ton répliqué du côté catholique) une provocation en partie financée sur deniers publics. L'opinion s'est divisée (40 % pour et autant contre selon un sondage commandité par le Monde). Le débat précéda la commémoration. Sa passion, en fixant les limites à ne pas dépasser, aura permis, paradoxalement, aux journées commémoratives de se dérouler dans une relative sérénité. Jacques Chirac a accueilli Jean-Paul II au nom de la « France républicaine et laïque ». Le souverain pontife a invité les catholiques à dialoguer avec « les autres composantes de la nation ».

Voyages pontificaux

Outre sa venue en France à l'occasion de la célébration du 1 500e anniversaire du baptême de Clovis, le pape Jean-Paul II a effectué, en 1996, plusieurs voyages importants : en février, en Amérique latine (au Guatemala, où il a médité sur le mystère du Sauveur crucifié pour la réconciliation des hommes entre eux et avec Dieu ; au Nicaragua, où sa visite contrastait avec celle de 1983, alors que les sandinistes étaient au pouvoir ; au Salvador et au Venezuela) ; en mai, en Slovénie (il y a parlé du droit des pays d'Europe à défendre leur « identité nationale ») ; en Allemagne, en juin (où le mouvement « Nous sommes l'Église » a récolté des centaines de milliers de signatures dans l'espoir de susciter « plus de démocratie » au sein du catholicisme) ; et enfin en République tchèque, en septembre, où l'on avait craint pour sa santé. À la fin de 1996, des contacts ont eu lieu entre le Vatican et La Havane pour une éventuelle visite du pape à Cuba.

Occupation

En août, la grande mosquée d'Évry a été occupée par des militants d'associations musulmanes de l'Essonne, signe d'un malaise plus général. Le Haut Conseil des musulmans de France (HCMF), crée en décembre 1995, regroupe environ 300 associations. Il estime que les mosquées de Paris, de Lyon et d'Évry entretiennent des patrimoines personnels et des intérêts étrangers à la France. Les dirigeants de ces mosquées ont répliqué en fondant le Conseil supérieur des mosquées de France, qui se veut « une structure permanente de concertations et d'échanges, au sein de la communauté musulmane, avec les pouvoirs publics et les autres cultes ». Pas plus que les années précédentes, l'islam de France n'arrive à se donner des structures fédérales représentatives.

Le problème des sectes

Le religieux s'est également trouvé sur la sellette avec la publication d'un rapport de parlementaires sur les sectes. Il se prononce contre une législation spécifique, la notion de secte étant juridiquement indéfinissable. Eux-mêmes qualifient de « secte » un « mouvement se présentant comme religieux » et qui comporte une des dix caractéristiques suivantes : déstabilisation mentale, exigences financières exorbitantes, rupture avec l'environnement familial, atteintes à l'intégrité physique, embrigadement des enfants, discours plus ou moins antisocial, troubles à l'ordre public, démêlés judiciaires, détournement des circuits économiques traditionnels, tentatives d'infiltration des pouvoirs publics. À partir d'une enquête des Renseignements généraux, une liste de 172 groupements a été établie dans le rapport. Les « religions reconnues » étant d'emblée exclues de l'investigation. Le flou de certains des critères retenus, leur hétérogénéité, la reprise sans recours à d'autres sources de l'interprétation donnée par les R.G. ont amené certains sociologues de différents pays à critiquer le rapport.

L'affaire de l'abbé Pierre

Mais le sujet le plus passionnel (et le plus déroutant) de l'année 1996 reste celui qui a mis en cause l'abbé Pierre. Le fondateur des chiffonniers d'Emmaüs avait été élevé par les médias au rang d'autorité morale suprême de la France. En avril, on apprit avec stupeur qu'il soutenait son ami, le philosophe Roger Garaudy, accusé de « négation de crimes contre l'humanité » pour son ouvrage sur les Mythes fondateurs de la politique israélienne. Fin juillet, l'abbé Pierre se rétractait, mais le « gâchis » était fait.