Les religions dans les crises de société

L'évolution de la religion est étroitement liée à l'évolution de la société. Elle en exprime soit la sérénité (et alors ne retient guère l'attention) soit les inquiétudes et les menaces.

Sida

En février 1996, la commission sociale de l'épiscopat français, présidée par Mgr A. Rouet, évêque de Poitiers, a publié un rapport consacré au sida et intitule « La société en question ». Cette épidémie est considérée comme une maladie qui « oblige à prendre en compte et l'histoire de chacun et l'état d'une société » ; elle ne sera vaincue qu'en « changeant les représentations de la vie qui en favorisent la transmission ». Tout en soulignant que la fidélité de la relation amoureuse lui semble la meilleure réponse, la commission estime que le préservatif est « nécessaire » et elle se réjouit qu'il ait permis « pour une part » la relative stagnation de l'expansion du sida.

Réhabilitation

En octobre, le Vatican réhabilite Charles Darwin. En 1950, Pie XII avait estimé que la théorie de révolution formulée au xixe siècle par le naturaliste britannique constituait une « hypothèse sérieuse ». Jean-Paul II, qui avait déjà réhabilité Galilée en 1992, déclare à ce sujet qu'il s'agit de « plus qu'une hypothèse ». Toutefois, il tient à rappeler que « si le corps humain tient son origine de la matière vivante, qui lui préexiste, l'âme spirituelle est immédiatement créée par Dieu ».

Évolutions tranquilles

Quelques exemples de sérénité nous viennent de Grande-Bretagne. En septembre, un concert de rock chrétien a rassemblé, près de Londres, plusieurs dizaines de milliers de personnes de différentes Églises. La musique et son expressivité coexistaient avec de très nombreux carrefours, qui abordaient les sujets les plus divers (l'un d'entre eux : « Je suis trop sexy pour mon Église » a rencontré un succès amusé). Le dimanche, l'archevêque de Canterbury a présidé l'office.

Cette religion tranquille ne signifie pas une religion figée. Après les avatars survenus à différents membres de la famille royale, Elizabeth II a rendu publiques les conclusions d'un groupe de réflexion qu'elle avait mis au travail voilà trois ans. Certaines réformes envisagées changeraient le paysage religieux britannique. La plus importante, déjà suggérée par le prince Charles, verrait le souverain cesser d'être le « gouverneur suprême » de l'Église d'Angleterre, déjà, dans les faits, très largement autonome.

Cette Église semble, par ailleurs, bien remise des remous occasionnés par la décision d'admettre les femmes au sacerdoce. Le schisme attendu par certains ne s'est nullement produit. Les départs de pasteurs et de laïques ont revêtu une ampleur limitée, très largement compensée par l'apport enrichissant des femmes pasteurs, souvent considérées par leurs paroissiens comme plus proches des problèmes quotidiens que leurs homologues masculins. L'exemple de l'Église anglicane a d'ailleurs été suivi, cette année, par l'Église vieille-catholique d'Allemagne. Cette Église, séparée de Rome depuis le concile de Vatican I (1870), a ordonné ses deux premières femmes prêtres.

Ces événements ne sont pas sans répercussion sur l'Église catholique : une éminente théologienne canadienne, Mary Malone, l'a quittée pour protester contre l'image exclusivement masculine de Dieu qui serait véhiculée par le catholicisme. D'autre part, la Conférence américaine des religieuses (80 000 membres) a organisé un jeûne pour demander que cesse « la grande contradiction [qui existe] entre les déclarations du pape sur la dignité de la femme et la place qui lui est réservée au niveau des fonctions décisionnelles dans l'Église ».

Le conflit politico-religieux en Israël-Palestine

Alors que 1995 semblait s'être terminé dans l'espoir maintenu d'une progressive réconciliation en Israël-Palestine, 1996 a marqué un très net raidissement : attentats islamiques en Israël, massacre de Cana au Sud-Liban, victoire, sur le fil, de Benyamin Netanyahou soutenu par les partisans du « Grand Israël biblique », suivi – en septembre – par l'ouverture du « tunnel de la discorde » qui passe sous le mur de soutènement de l'esplanade des Mosquées et débouche sur la « via dolorosa » qu'aurait empruntée Jésus. Ressentie par nombre de Palestiniens comme une atteinte à leurs sentiments religieux et un signe supplémentaire de la volonté des Israéliens d'annexer la Ville sainte, cette décision a provoqué une révolte sanglante. Face à la perspective d'une paix qui les insérerait dans un Moyen-Orient à majorité arabo-musulmane, une partie des Israéliens – religieux et laïques – semblent pris par un réflexe de repli identitaire.

La lutte entre deux islams

En Afghanistan, la conquête de Kaboul par les talibans (ou « étudiants en religion ») a amené l'instauration d'un ordre dit « islamique » très pesant : fermeture des écoles de filles, interdiction faite aux femmes d'exercer leur métier, port obligatoire de la barbe pour les hommes, instauration de « châtiments islamiques », etc. Mais de telles pratiques ont renforcé la coalition des adversaires des talibans, au sein de laquelle combattent aussi de nombreux musulmans. Celle-ci a repris l'offensive. La guerre civile, qui a succédé à la lutte contre le communisme militairement imposé par l'URSS, continue de plus belle.