Pourquoi ce premier mensonge, demande la présidente ? Peur de l'échec, désir de ne pas décevoir, il ne sait pas... Jean-Claude Romand n'explique ni la véritable raison de cette dérobade, ni l'enchaînement de tous ses mensonges, ni encore le passage à des escroqueries. À ses parents, beaux-parents et amis Jean-Claude Romand raconte que son statut de fonctionnaire international lui permet d'avoir en Suisse accès à des taux d'intérêt privilégiés. Il escroque près de 3 millions à ses proches. Plus grave, il profite de son aura de chercheur pour vendre des médicaments censés guérir le cancer... Entretemps, il a épousé Florence, une amie d'enfance, et deux enfants, Caroline et Antoine, sont nés. Florence est belle et intelligente, les enfants sont charmants. Partout les Romand sont cités en exemple, lui chercheur, elle pharmacienne. Chaque jour, au volant de sa voiture marquée du caducée, Jean-Claude Romand part pour son bureau imaginaire de Genève. En fait, il erre dans les parkings de la région ou dans les sex-shops de Lyon.

Fin 1992, il est pris au piège de tous ses mensonges

Le détonateur est Chantal, chirurgienne-dentiste, qui exige les 900 000 F qu'elle lui a confiés. Sur le point d'être démasqué, il a trois solutions : avouer, s'enfuir, se suicider. Il opte pour la dernière, mais il décide de faire disparaître auparavant tous les témoins de ses mensonges. Il réussira la mort des autres, ratera la sienne...

Le récit à la cour de ses cinq assassinats donne lieu à toute une série d'incidents. Jean-Claude Romand commence par se taire, sanglote, hurle, trépigne puis s'évanouit, et il en sera ainsi pendant deux jours. La présidente doit suspendre, un médecin est obligé d'intervenir. Dans le comportement de l'accusé, il y a un tiers de véritable malaise, deux tiers d'histrionisme.

Des cinq assassinats, le premier, celui de Florence, exécuté avec un rouleau à pâtisserie, est le plus troublant. Il a été vraisemblablement improvisé lors d'une scène. De cet assassinat, Jean-Claude Romand dit n'avoir gardé que quelques images et pas d'explications.

« Toute cette violence me dépasse. Une des dernières images que j'ai d'elle... Florence étendue sur le ventre dort dans son lit, et dans mes mains il y a ce rouleau à pâtisserie poisseux de sang... Si j'ai tué Florence, c'est par rapport à la douleur intolérable qu'elle allait avoir après mon suicide. Je ne voyais que sa souffrance et la mort me semblait le seul remède...

« Après... je ne pouvais pas m'arrêter. Leur maman morte, leur papa assassin, je ne pouvais que tuer Caroline et Antoine... Les enfants sont venus dans la salle de bains me dire bonjour. Puis ils sont redescendus regarder une cassette au salon. Sur le canapé je leur ai parlé et je les ai calmés. Puis je suis allé chercher la carabine. J'ai dit à Caroline qu'elle avait de la fièvre. Elle s'est allongée sur son lit. J'ai dû prétexter un jeu pour qu'elle mette un oreiller sur sa tête. J'ai pris la carabine et j'ai tiré trois fois... Trois fois... »

La suite est encore plus étonnante, Jean-Claude Romand lave le rouleau à pâtisserie, sort acheter des journaux, bavarde avec la buraliste, inspecte sa boîte aux lettres puis téléphone à ses parents et leur dit qu'il vient déjeuner chez eux, à Clairvaux-les-Lacs. Avant, il prend le soin de démonter la carabine avec laquelle il a tué ses enfants pour la mettre dans le coffre de sa voiture. Arrivé chez ses parents, il déjeune avec eux, leur confie qu'il va sans doute être nommé à la tête de l'INSERM puis, après ce doux mensonge, va chercher la carabine et le silencieux dans le coffre.

Pour Jean-Claude Romand, le 9 janvier 1993 est une journée chargée : avant le déjeuner, il tue sa femme et ses deux enfants ; après le déjeuner, son père, sa mère et le labrador de la famille. Pour le dîner, il a prévu la mort de Chantal.

Dans une logique cartésienne, Chantal est la seule personne à présenter un danger réel pour lui. Or, dans des circonstances hautement rocambolesques, elle sera la seule à échapper au massacre. À l'audience, la rescapée est la grande absente. Elle a fait parvenir à la cour un certificat médical expliquant tous les dangers psychologiques que provoquerait sa comparution.