Chronique judiciaire

« N'est pas grand assassin qui veut. Pour se faire une place, même modeste, au Panthéon du crime, pour prétendre à une célébrité durable, il faut de la chance, de l'imagination, voire de la persévérance et du talent. Les amateurs de faits divers sont des censeurs sévères. Dans leur rubrique préférée ils ne supportent ni la banalité, ni les effets faciles et même avec tout le talent du monde on ne saurait ni forcer leur curiosité, ni leur imposer un héros médiocre. » Dans son introduction aux Grandes Affaires criminelles (Éd. Bordas, 1988), Alain Monestier explique que dans le flot de sang qui macule les longs fils des téléscripteurs, seule une toute petite partie obtient les honneurs de la chronique judiciaire.

Fascination

Les crimes commis par Jean-Claude Romand en janvier 1993 appartiennent à cette catégorie-là. Ils ne risquaient pas de passer inaperçus ni de se perdre dans un oubli irrémédiable. Ils ont eu un grand retentissement et trois ans plus tard le procès Romand en a encore davantage. Ce qui a fasciné chroniqueurs et spectateurs, c'est l'inadéquation totale entre les crimes commis et le motif qui poussait à les commettre. Par l'insignifiance de leurs mobiles, les cinq crimes perpétrés par Jean-Claude Romand constituaient autant d'énigmes.

Le 25 juin 1996 s'ouvre devant la cour d'assises de l'Ain un procès unique en son genre, celui de Jean-Claude Romand, un homme de quarante-deux ans. Le 9 janvier 1993, il a tué sa femme et ses deux enfants à Prévessin-Moëns (Ain), son père, sa mère et son chien à Clairvaux-les-Lacs (Jura), cinq assassinats entrecoupés de temps de pause pendant lesquels il déjeune et regarde la télévision.

Apparemment, il n'a pas tué les siens par haine ou intérêt, mais pour ne pas avoir à leur avouer que toute sa vie n'était qu'une suite d'impostures, de mensonges et d'échecs. Pour sa famille, ses amis et ses voisins, Jean-Claude Romand était un brillant médecin à l'Organisation mondiale de la santé, à Genève, de plus chercheur à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Sa vie se déroulait dans les laboratoires et les colloques. Bernard Kouchner était son ami, le professeur Schwartzenberg, son confident. Son nom avait été prononcé pour la direction de l'INSERM...

Quand on l'arrête pour le massacre des siens, on découvre avec stupeur qu'il n'est ni chercheur ni même médecin, et qu'il n'existe pas...

Jean-Claude Romand n'a jamais travaillé. À la vie réelle, il a préféré l'imaginaire. Pendant plus de dix-huit ans il a joué au docteur, mais soudain le jeu a basculé dans le sang. La mythomanie de l'accusé, l'horreur de chacun de ses cinq assassinats soigneusement préparés, l'étrange logique d'un meurtrier décrit comme bon fils, bon époux, bon père et... bon médecin sont autant d'énigmes. Elles fascinent la presse et le public. Le 25 juin, la petite cour d'assises de Bourg-en-Bresse est comble. Le public est venu aussi nombreux qu'en 1898 au procès de Jacques Vacher, le tueur de bergères et de bergers, le premier « serial killer » français, inspiré par Jack l'Éventreur... et guillotiné à Bourg-en-Bresse fin 1898. « Je m'appelle Jean-Claude Romand, j'ai quarante-deux ans... je n'ai pas de profession ».

L'homme est grand, fort. Il parle, d'une voix douce, de lui-même comme d'un étranger.

« Vous êtes né le 11 février 1954 à Lons-le-Saunier. Parlez-nous de vos parents, demande la présidente.

– Vous savez, c'est difficile de faire la biographie de ceux qu'on a tués. »

Fils unique, choyé, il a reçu le maximum d'amour que des parents peuvent donner à un enfant. Il a grandi près des bois, un peu solitaire mais très couvé. Enfant, il dit n'avoir eu pour confident que son chien. À l'évocation de la mort de ce dernier, il se met à sangloter.

Très bon élève, il est la fierté de ses parents, qui se réjouissent de le voir réussir tous ses examens. Au lycée de Lyon, il prépare le concours d'entrée à l'École du génie rural des eaux et forêts... et c'est son premier échec. Il s'inscrit alors à la faculté de médecine de Lyon. C'est à la fin de la septième année que toute sa vie bascule. Lors de l'examen, il oublie de se réveiller et manque une épreuve. On l'autorise à se représenter à la session de septembre, mais, le jour de l'épreuve, il se dérobe. Il déclare à ses parents qu'il a été reçu. C'est le grand tournant de sa vie. À partir de là, elle bascule dans les mensonges ; chaque année, il annonce ses succès à des examens qu'il ne passe pas. De la même manière, il réussit ensuite le concours de l'internat – « cinquième seulement », confie-t-il à ses parents.