Automobile : injection directe, année zéro
Passer en revue toutes les solutions diminuant consommation et pollution est bien déprimant. La voiture électrique ? Comme on le craignait, sa diffusion confidentielle attend toujours des batteries puissantes pour démarrer – ce sera pour 2005/2010. Les hybrides ? En dépit des efforts de Peugeot et de Renault (Next et, surtout, Hymne), les hybrides n'avancent guère, une nouvelle fois par la faute des batteries et des turbines, trop chères, même si le diesel/générateur pourra peut-être assurer l'intérim. Pour les voitures existantes, l'allégement se limite à pas grand-chose tant les règles de sécurité deviennent draconiennes avec le temps. L'alu des Audi A8 reste cher et ne semble convenir qu'aux petites séries. Le magnésium ne peut alléger que des composants, comme les sièges du monospace Opel Sintra, mais VW y croit au point de créer un joint-venture en Israël pour en produire de grandes quantités. Les composites structurels hors course, vu leur prix et leur difficulté à être utilisés en grande série, il ne reste plus que l'aérodynamique. Avec 0,25 pour les grosses voitures et 0,30 pour les petites, les coefficients actuels tangentent l'asymptote ; descendre plus bas coûterait des fortunes. Seule certitude, les pneus « verts » de Michelin ont fait baisser les consommations de 5 %, mais on ne pourra guère aller plus loin sans de fortes pressions, et donc une redéfinition des suspensions automobiles.
Parc électrique
En dépit d'une offre élargie, 8 modèles VP et 17 VU, les ventes de voitures électriques en France n'ont pas dépassé 1 000 unités lors du premier semestre 1996. C'est pourtant une montée en puissance intéressante si l'on sait que le parc français ne dépasse pas 2 334 unités. Un score nettement moins bon qu'en Allemagne, 4 150, mais meilleur qu'en Suisse, 2 000, en Italie, 840, en Autriche, 440, et en Suède, 235. Les autres pays européens exploitent des parcs VE compris entre 50 et 100 véhicules, toutes catégories confondues. Au total, plus de 10 000 VE circulent maintenant en Europe.
L'injection directe
Baisser les consommations à coup sûr impose d'améliorer rendement et conception des moteurs. « Et les carburants » ajoutent les constructeurs, qui doutent de pouvoir surmonter seuls les nouvelles normes anti-pollution prévues pour 2000 et 2005 sans le secours de nouveaux carburants. Peine perdue, les autorités européennes, ignorant le B.A.-BA de la technique, ne mettent la pression que sur les constructeurs. À terme, on risque donc de déboucher sur une impasse, qui imposera de faire machine arrière, comme en 1996 pour les véhicules électriques (VE) : faute de réalisme technique, la loi californienne voulant que 2 % des véhicules vendus sur son territoire en 1998 soient électriques a été abrogée (différée diront les optimistes). Même dans le doute, les motoristes utilisent leur meilleure arme, l'injection directe (ID). Les moteurs Diesel y passent tous, même s'ils sont encore plus polluants (en pourcentage, pas en masse) que les traditionnels indirects. VW et Rover ont joué les pionniers, Opel y est, Peugeot et Renault y viennent dès 1997, tous les autres constructeurs suivront. Les problèmes de bruit et de vibration résolus, on consomme de 10 à 15 % de moins qu'avec les indirects. Grâce à l'électronique et au système « common rail » travaillant à très forte pression (1 400 bars !), l'avenir de l'ID semble radieux. Reste à résoudre deux problèmes graves, les NOx, oxydes d'azote produits en plus fortes quantités, et les particules. Pour les NOx, on développe de nouveaux catalyseurs « denox », plus coûteux et pas encore tout à fait au point. Pour les particules, les filtres installés sur l'échappement semblent trop volumineux et complexes – ils seront réservés aux camions. La meilleure solution « voiture » reste d'additiver le carburant : l'IFP (Institut français du pétrole) a mis au point diverses solutions ; Rhône-Poulenc achève celle d'un additif nommé « Eolys » et va le tester au Japon. L'arrivée du diesel « très propre » sera chose faite d'ici à cinq ans ; il restera plus sobre que les moteurs essence, eux aussi passés à l'injection directe.
Pollution
En France, le parc auto est composé de 28 % de diesels, 12 % de véhicules essence catalysés, mais encore de 60 % de véhicules essence non catalysés : on voit tout de suite où se situent réellement les problèmes de pollution.
Les nouveaux diesels à injection directe ont un si bon rendement (> 40 %) que chauffer les passagers au démarrage devient un problème. Beru l'a résolu par l'introduction de bougies de préchauffage (de 1 à 3) dans les circuits de refroidissement moteur. Plus rapidement en température, le moteur devient aussi moins polluant.
Très critiqué actuellement, le diesel non catalysé reste pourtant nettement moins polluant que le moteur essence catalysé : 6 fois moins de CO, 3 fois moins de HC, 2 fois plus de NOx, soit, au total, 12 % de potentiel de formation d'ozone en moins. Son seul handicap : 8 à 10 fois plus de particules, défaut qu'on cherche à corriger par de nouveaux gazoles (introduits en octobre 1996) et des filtres à particules pour le futur.
L'essence aussi
La grande nouveauté 1996 est en effet la commercialisation d'une Mitsubishi Galant très sobre, à injection directe et mélange pauvre. Après cette grande première, toute la planète va rapidement adopter cette solution performante, née des études (infructueuses) menées sur les moteurs 2 temps. Sous pression élevée (jusqu'à 150 bars), l'essence est finement pulvérisée par l'injecteur directement dans la chambre de combustion. Celle-ci, grâce au dessin des conduits d'admission d'air et de la surface du piston, induit un phénomène de « charge stratifiée ». De très puissants tourbillons concentrent les gouttelettes d'essence au voisinage de la bougie. Celle-ci parvient à enflammer un mélange air-essence de 30, 40, voire 50 à 1 en valeur moyenne, alors que l'essence devient ininflammable au-delà de 28 à 1. Ce petit miracle reste fragile et inconstant, dépendant de la formation des tourbillons. Faciles à créer à bas régime, ils induisent des économies allant jusqu'à 30 %, qui s'amenuisent progressivement à haut régime. Faudra-t-il « assister » l'injection directe avec de l'air additionnel (ou d'autres systèmes) pour rendre le phénomène permanent ? c'est probable. Le plus urgent reste d'éliminer les NOx, une nouvelle fois produits en plus grande quantité par les mélanges pauvres. Deux techniques sont utilisées, soit une recirculation importante des gaz d'échappement à l'admission (EGR) – prônée par Toyota pour abaisser la température de combustion dans la chambre –, soit des catalyseurs d'un type nouveau, avec « zéolites » absorbantes pour un fonctionnement discontinu ou présence de nouveaux métaux rares, comme l'iridium. Ces techniques sont au point mais demeurent encore perfectibles, le seul défaut impossible à gommer restant leur prix élevé : la propreté se paie cher !
Sans plomb
55 %, c'est le pourcentage des ventes d'essence sans plomb en France. Nous sommes loin derrière la Belgique, 69 %, encore plus derrière les Pays-Bas, 85 %, et l'Allemagne, 95 % – Autriche, Danemark, Finlande et Suède atteignant les 100 %.
Circuler
Les grandes cités étant toujours accessibles aux véhicules propres, reste à les y faire circuler. La plupart du temps, les autorités ne souhaitant plus modifier les infrastructures pour fluidifier la circulation, les constructeurs se sont vus contraints d'apporter leurs solutions. Elles existent, ce sont les systèmes embarqués de navigation ; en 1996, le Japon en a acheté 750 000, d'une quinzaine de marques ! Avec une cartographie « in board » sur CD-Rom et un système de localisation par GPS (calé sur 3 satellites ou plus), précisé par l'accéléromètre du véhicule, un écran et une aide vocale ; le principe en est connu. Tous les grands électroniciens européens (Philips, Bosch, Marelli, Siemens, etc.) ont le leur, le choix est déjà vaste. Hormis le prix, pour l'instant proche des 10 000 F, l'écueil majeur reste le faible nombre de cartes numérisées (quelques villes, pas plus). Couvrir toute la France prendra du temps, actualiser ces plans (changements de sens interdits, travaux) n'est pas aisé, mais, pour être informé en temps réel de l'emplacement des bouchons routiers, une simple radio RDS suffit.
Lents et statiques
Les véhicules particuliers roulent peu et mal, c'est ce qui ressort d'une enquête officielle de l'INRETS. Ils sont à l'arrêt 97,2 % du temps, la moitié des trajets sont inférieurs à 3 km, le déplacement moyen ne dépasse pas 8,5 km, à une vitesse moyenne (ville et route confondues) de 37 km/h.
Électronique reine
Voilà encore quelques puces électroniques de plus dans des voitures qui en sont bourrées ! Déjà en place pour les gestions moteur, l'ordinateur progresse à pas de géant dans tous les autres domaines. Il gagne les embrayages et surtout les boîtes de vitesses, à pignons ou à courroie métallique, qui se conduisent via de simples boutons et vont aider, par leur « intelligence », à consommer moins en maintenant le moteur dans les régimes où il pollue le moins. Les « anti-tête-à-queue », type Bosch FKR, Delphi Traxxar ou Allied ASMS, regroupent ABS et ASR, et communiquent avec le moteur. Le freinage électrohydraulique comme les directions assistées électriques progressent, le freinage tout électrique est en vue. Un cerveau gérera bientôt le gonflage des Airbags : pour une protection maximale, Mercedes en envisage 17 par véhicule et Volvo a inventé le 18e pour le toit ! Plus fort encore, leur déclenchement préventif juste avant l'accident, comme les dispositifs intelligents de maintien des distances entre les véhicules, en option dès 1997. Que dire aussi des nouvelles lampes à décharges hyperpuissantes (existant chez Hella), dans des phares dont le faisceau variera en fonction de la route, large au carrefour, long en ligne droite, accompagnant les virages. Et Daimler-Benz a repris les expériences de véhicules à pilotage semi-automatique, roulant en convoi serré pour augmenter de 30 % le trafic des routes existantes ! Toujours plus électronisées, sûres, confortables et équipées, les voitures modernes deviennent – hélas – trop chères pour nombre d'acheteurs.
Souverain en formule 1 et sur les voitures Sport-Prototype, le frein carbone/carbone de Carbone industrie, filiale de la SEP, devrait trouver place dans les futurs camions de RVI. Cette technologie, mise au point au départ pour les Airbus, s'avère parfaite pour les camions, qui, en phase de freinage, doivent dissiper 40 fois plus d'énergie qu'une automobile.
Stratégie mondiale
Conscients du problème, les constructeurs modifient leur offre. Ils proposent tous de nouveaux véhicules différents des berlines, jouent sur la séduction, l'aspect irrationnel de l'automobile qui en fait oublier le prix. Industriellement, ils travaillent sur 5 axes. D'abord, acheter moins cher des composants représentant 70 % du prix du véhicule. Seconde possibilité, « déshabiller » les véhicules ; un « decontaining » assez dangereux dans la mesure où il faut opérer avec discernement et savoir où s'arrêter ! Troisième axe, améliorer la productivité des usines ; elle passe par la simplification de l'assemblage via des composants de plus en plus importants, des « fonctions » complètes (habitacle, face avant, train arrière, etc.) fabriquées sur le site même par les équipementiers. Quatrième possibilité, complémentaire de la précédente, réaliser des « économies d'échelle » en rallongeant les séries. Toujours dans cette optique, les constructeurs se regroupent pour des opérations ponctuelles : Fiat-Peugeot et VW-Ford pour les monospaces, Renault-GM pour un utilitaire, BMW et Chrysler pour des petits moteurs construits au Brésil. Apparaît ici la cinquième méthode, la délocalisation de la production vers des pays à bas salaires. Certains, en République tchèque (VW), Hongrie (VW et Opel), Pologne (Fiat et Daewoo), jouent avec succès la carte des ex-pays de l'Est. D'autres, comme Fiat, Renault, Chrysler, Ford, Honda, etc. font coup double en misant sur le Brésil, où l'ensemble des constructeurs va investir 15 milliards de dollars d'ici à l'an 2000. Comme au Mexique ou en Argentine, ils peuvent y fabriquer des composants à bas prix mais aussi des véhicules destinés à ces « marchés émergents » si prometteurs, plus simples mais qui pourront être réimportés en Europe. Même stratégie en Asie, où, dans l'attente d'un marché chinois qui tarde à décoller, les constructeurs investissent massivement dans le Sud-Est asiatique. Si tous ces projets aboutissent, on ne reconnaîtra plus au xxie siècle le paysage automobile mondial de 1996 !
Delphi, filiale équipementière de GM, a présenté au Mondial de l'automobile 1996 deux innovations intéressantes. Les catalyseurs classiques n'épurant pas les hydrocarbures imbrûlés lors du démarrage à froid, celui de Delphi les absorbe et ne les recrache qu'une fois le catalyseur chaud : ils sont alors éliminés ; voilà une solution nettement moins chère que les catalyseurs chauffés électriquement. Seconde percée technologique, un alternateur refroidi par eau, bien plus performant et surtout très silencieux.
Un rétroviseur révolutionnaire a été mis au point par la firme britannique Britax. Très petit, son système optique prismatique lui permet d'être à 40 % installé dans l'habitacle, d'où un gain aérodynamique de 5 % pour le véhicule.
Multiplex
Après essai satisfaisant de 1 000 Citroën XM équipées depuis 1994 d'un faisceau multiplexé (Sagem, Valeo), PSA va généraliser le système. Il a retenu les protocoles VAN pour l'habitacle et CAN pour le moteur et la tenue de route. En 2005, 400 000 Peugeot et Citroën devraient rouler avec un faisceau multiplexé. PSA est le premier groupe automobile à prendre de tels engagements.
Emplois
Tous les experts prédisent que le secteur automobile ne créera plus d'emplois en France dans le futur. Il demeure cependant le premier employeur industriel avec 2 608 000 emplois (1994). La production, 317 000 (constructeurs 189 000, équipementiers 109 000), est moins nombreuse que la réparation, 416 000, encore moins que les professions du transport et de la route, avec 1 277 000 personnes.
Jean-Pierre Gosselin
Rédacteur en chef de la revue Ingénieurs de l'automobile