Ces premières répercussions qui s'exercent directement sur les composantes fondamentales de l'activité (revenus, investissements, production) sont suivies d'un jeu d'effets destructeurs et d'enchaînements contraignants tels que se trouve enclenché un cercle vicieux. Entre la réduction du pouvoir d'achat et l'extrême prudence des producteurs industriels, l'économie française s'est trouvée assez récemment aspirée dans une spirale infernale, celle de la déflation. En même temps, la récession a cédé dangereusement la place à une stagnation durable, dont on ne sait comment sortir.
Depuis le début de l'année 1996, la publication des indices de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) en matière d'emploi n'a pas apporté la note rassurante qu'une opinion publique, impatiente ou résignée, attendait. Au contraire, la conjonction simultanée des tendances défavorables en matière d'emploi et de prix a confirmé à l'évidence que l'état d'extrême langueur de l'économie risquait d'être encore maintenu, pour un temps peut-être indéterminé. L'INSEE a révélé que le nombre d'emplois n'avait pas progressé aux 1er et 2e trimestres 1996 ; au contraire, il avait même baissé de 0,20 % au 3e trimestre. Aussi, entre la crainte du chômage et la faiblesse des salaires, les rémunérations ont progressé encore moins vite que l'inflation, de telle sorte que le pouvoir d'achat a accusé un fléchissement et la consommation, un recul. Dans ces conditions, rien d'étonnant que la baisse des prix touche de plus en plus de produits de consommation.
En dehors des habituelles variations saisonnières à la baisse (fruits et légumes), les prix industriels (c'est-à-dire le coût des produits que les entreprises s'échangent entre elles) se sont rétractés fortement depuis juillet 1995 (– 3,2 %) et qu'au détail ce sont surtout les produits manufacturés qui sont frappés (électroménager, textiles). D'ailleurs, des pessimistes ne manquent pas de souligner que la baisse des prix à la consommation est probablement plus accusée que ne l'indiquent les indices officiels. La déflation ou, du moins, une forme de déflation existe dans l'immobilier, où l'on enregistre une stabilisation des prix des logements faisant suite à une forte baisse, ou dans l'automobile, avec la mise en vente d'un même modèle moins cher d'une année sur l'autre (la Clio de Renault). Il arrive aussi que les consommateurs préfèrent les articles étrangers moins chers ou négocient des rabais en attendant les périodes de soldes (dans les magasins d'habillement) ou de promotion (dans les grandes surfaces de vente). En outre, le mouvement de baisse est renforcé par le développement des réseaux de discounters ou de hard-discounters (supermarchés de maxi-discount). Enfin, ce phénomène de « destruction des prix » (tiré du japonais kakaku hakaï) tend à s'étendre aux prestataires de services avec le système de réductions forfaitaires spéciales appliqué dans les ventes automobiles, les restaurants, l'hôtellerie ou les voyages à l'étranger. Cependant, les optimistes soutiennent qu'il ne faut pas exagérer : certains prix industriels ou de services offrent des poches de résistance à la baisse.
Redémarrage
De l'analyse précédente, il pourrait être déduit qu'il suffit de relancer la consommation pour faire redémarrer l'économie. Cependant, la reprise de l'activité et la diminution du chômage ne pourront être obtenues que si le problème de la déflation est attaqué sur plusieurs fronts : affectation de l'épargne à la création de marchés nouveaux, à l'intérieur comme à l'extérieur, réorientation des dépenses budgétaires, réforme de la fiscalité, mise en œuvre d'innovations technologiques ou autres, reformulation de la politique monétaire, etc. Il s'agit là d'une tâche immense exigeant une remise à plat de tous les aspects de la politique économique générale, et plus particulièrement de la politique monétaire.
Gilbert Rullière