Le spectre de la déflation
Si l'on se réfère à l'étymologie, le terme de « déflation » peut être très simplement défini comme le contraire de l'inflation. Lorsque cette dernière est habituellement identifiée à un processus de hausse généralisée des prix, avec augmentation corrélative de la masse des moyens de paiement, la déflation l'est, inversement, par un mouvement de baisse affectant pratiquement l'ensemble des prix. De plus, ce mouvement de baisse est presque toujours accompagné d'une diminution de la quantité de monnaie en circulation. Ce phénomène présente également une autre caractéristique : l'économie tout entière se trouve brutalement aspirée par ce que l'on appelle la « spirale déflationniste », à savoir que les revenus, la consommation, les investissements, l'activité économique (la production) et l'emploi baissent tous de conserve.
Par ailleurs, on ne doit jamais être tenté de confondre déflation et désinflation – dite « compétitive » – lorsque l'on observe, pour l'une comme pour l'autre, que les prix n'évoluent plus à la hausse. Mais l'un et l'autre de ces deux phénomènes doivent être nécessairement distingués par le fait que dans un cas (déflation) les prix sont toujours orientés à la baisse, dans leur ensemble, et dans l'autre cas (désinflation) les prix cessent de monter voire se stabilisent.
La désinflation a été qualifiée de « compétitive » parce qu'avec l'arrêt de l'inflation les prix deviennent sur le plan extérieur concurrentiels, ce qui évite de recourir, comme par le passé, à l'arme classique de la dévaluation également compétitive en tant que moyen de correction de la disparité prix intérieurs-prix extérieurs, d'adaptation du pouvoir d'exportation des firmes et de rééquilibre des comptes extérieurs.
La désinflation compétitive a été, en quelque sorte, imposée de l'extérieur, en 1982, à l'économie française, à la suite de la récession frappant les pays industrialisés. En France, la soudaine aggravation des déficits publics et la dégradation des comptes extérieurs – avec, comme conséquence, une crise aiguë de la balance des paiements – ont contraint les autorités responsables de l'économie à s'engager dans un processus de désinflation compétitive. À cet effet, priorité fut donnée à la lutte contre l'inflation (notamment à travers des accords de modération des rémunérations privées et publiques, et des efforts de réduction des déficits publics) et au rétablissement des comptes extérieurs, avec le souci majeur d'intensifier les exportations. Concrètement, cette priorité plaça au premier plan de l'action économique la politique monétaire fondée dorénavant sur la libéralisation des circuits de financement et la régulation par les taux (d'intérêt, notamment). La hausse des prix s'en trouva nettement ralentie. Par la suite, pour lutter contre l'inflation et équilibrer les comptes extérieurs ainsi que pour achever la construction européenne et préparer le passage à la monnaie unique, le franc français fut arrimé au Mark allemand.
La politique économique privilégia de plus en plus la défense de la parité franc-Mark afin de créer le marché unique et de favoriser la convergence des économies au sein de l'Union européenne. En revanche, les objectifs réels de croissance ont été délibérément sacrifiés au profit de la politique monétaire. Une telle politique, aussi strictement monétariste, devait, avec la récession mondiale du début des années 90, empêcher la reprise de l'activité économique française : outre les répercussions de la récession mondiale au plan intérieur, la forte surévaluation tant du Mark que du franc, l'escalade des taux d'intérêt réels, le gonflement des déficits publics et la prépondérance des taux d'intérêt courts sur les taux longs ont, en dernier ressort, aggravé le chômage et ouvert la voie à la déflation.
Spirale déflationniste
L'économie d'un pays s'engage dans la déflation à partir du moment où les entreprises voient leur chiffre d'affaires chuter. Pour survivre, elles réduisent leurs coûts de production jusqu'à comprimer les salaires de ceux qu'elles emploient et à supprimer une partie du personnel, ce qui, évidemment, abaisse le pouvoir d'achat des consommateurs et aggrave le chômage. À ces premières réactions s'ajoutent la baisse d'investissement des entreprises et la sous-utilisation des capacités de production dans l'industrie et souvent dans le secteur des services. En outre, comme on l'avait déjà constaté en 1993-1994, la masse monétaire (mesurée par son agrégat M3) n'a cessé de diminuer tout au long de l'année 1996 (moins 0,7 % en juin) : on peut y voir ainsi un signe de contraction de l'activité économique.