Au Conseil européen de décembre 1994, la France a souhaité, pour équilibrer cet effort en direction de l'Est, un effort d'aide accru de l'Union au profit des pays méditerranéens. Elle a obtenu un accord de principe de ses partenaires mais pas d'engagement chiffré, les Britanniques s'y étant opposés parce qu'ils préfèrent une politique commerciale plus active à une politique d'aide.
Des visions différentes de l'avenir
La vision britannique – une zone de libre-échange, très peu d'intégration et une simple coopération entre gouvernements – s'est confirmée en 1994, tant à l'occasion du débat à peine ébauché sur l'avenir des institutions de l'Union qu'à propos de l'élargissement vers l'est où l'empressement de Londres paraît recouvrir le désir de mettre à mal les politiques communes de l'Union.
Quant à la France, elle est entrée dans une période de relative paralysie en raison de l'échéance présidentielle. Les élections pour le renouvellement du Parlement de Strasbourg, le 12 juin, ont fait apparaître des courants anti-européens plus forts que dans les autres pays membres de l'Union et la majorité est elle-même divisée tant sur le projet de monnaie commune que sur l'avenir des institutions.
Si le gouvernement Balladur a maintenu le cap de l'Union monétaire, il n'a pu éviter que les déficits budgétaires se creusent en 1994. Sur d'autres aspects de la construction européenne, notamment la mise en œuvre des accords de Schengen sur la libre-circulation des personnes ou la création de l'instance de coopération des polices européennes, Europol, le gouvernement français, invoquant des problèmes techniques, a freiné la mise en œuvre des accords conclus. Il a fallu qu'en décembre, devant l'impatience manifestée par Bonn, le président de la République rappelle au gouvernement, en particulier au ministre de l'Intérieur Charles Pasqua, les engagements pris par la France, pour que les Douze puissent affirmer, au sommet d'Essen, qu'Europol serait effectivement créée avant la fin du premier semestre 1995.
Nouvelle donne euro-atlantique
En revanche, la nécessité de l'affirmation d'une « identité européenne de défense », énoncée parmi les objectifs du traité de Maastricht, a paru progresser en 1994, sous la pression des événements extérieurs, notamment la guerre dans l'ex-Yougoslavie et les tensions qu'elle a engendrées vers la fin de l'année entre les États-Unis et leurs alliés européens.
En février 1994, une initiative conjointe de la France et des États-Unis aboutit à l'ultimatum lancé avec succès par l'OTAN contre les forces serbes de Bosnie pour que celles-ci retirent leur armement lourd des abords de Sarajevo. À la demande de la France, les États-Unis et la Russie s'associent à la recherche d'un règlement de paix en Bosnie. Un plan est élaboré par le « groupe de contact » sur l'ex-Yougoslavie (États-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne, Allemagne), censé représenter le point de vue commun des grandes puissances. Mis au point en juillet 1994, après que Croates et Musulmans ont mis fin à leurs affrontements armés en Herzégovine, ce plan prévoit notamment l'attribution de 51 % du territoire bosniaque à l'entité croato-musulmane et 49 % à l'entité serbe. Il est accepté par les Croates et les Musulmans de Bosnie, mais rejeté par les Serbes bosniaques. Alors que la politique du « groupe de contact » est d'isoler ces derniers, avec l'appui du président de Serbie, Slobodan Milosevic, afin d'imposer le règlement de paix, le président Bill Clinton, sous la pression du Congrès américain, annonce en novembre que les États-Unis cessent de participer au contrôle de l'embargo sur les armes à destination de l'ex-Yougoslavie. C'est une rupture de la stratégie arrêtée en commun, qui, de surcroît, met en danger les Casques bleus déployés en Bosnie. Cette affaire provoque une grave crise dans les relations entre la France et la Grande-Bretagne d'une part, les États-Unis d'autre part. L'unité se refait, en décembre, mais l'affaire a fait prendre conscience, à Londres notamment, de l'affaiblissement de la solidarité euro-atlantique.