L'année diplomatique
Gestion de crises
La querelle avec les États-Unis à propos des négociations sur le commerce mondial (GATT) vient d'être réglée, le traité de Maastricht a été ratifié, et le moment n'est pas propice à de nouvelles initiatives européennes. La diplomatie de la France, en 1994, sera presque tout entière consacrée à la gestion des crises qui ensanglantent cette année : Bosnie, Algérie, Rwanda. C'est aussi la dernière année à la présidence pour François Mitterrand, que la maladie oblige déjà à réduire son activité et que l'on sent soucieux de ce que sera le bilan de ses deux septennats : vigilant sur les engagements pris par la France dans le cadre de l'Union européenne et attentif à ne pas laisser remettre en cause les acquis de Maastricht ; désireux de laisser, pour la postérité, la marque de son action en faveur de l'Europe par d'ultimes gestes symboliques, comme l'invitation faite aux jeunes soldats allemands appartenant à l'Eurocorps de venir défiler, le 14 juillet, sur les Champs-Élysées ; opiniâtre à maintenir strictement, jusqu'au bout de son mandat, le statut particulier de la France dans l'Alliance atlantique – sa non-participation aux instances militaires de l'OTAN ; ardent enfin à défendre, contre des critiques émanant désormais de milieux intellectuels qui avaient été ses alliés, la politique qu'il a menée dans l'ex-Yougoslavie depuis le début du conflit.
Différentes conceptions de l'Europe
La cohabitation entre François Mitterrand et le gouvernement Balladur ne donne pas lieu à de véritables différends en politique étrangère. Mais l'harmonie qui avait prévalu l'année précédente est néanmoins rompue. Dans plusieurs domaines de l'action extérieure on sent, au cours de cette année, que derrière l'unité affichée différentes conceptions s'opposent. C'est le cas notamment sur les questions européennes.
En arrivant à la tête du gouvernement en avril 1993, Édouard Balladur avait repris à son compte les engagements figurant dans le traité de Maastricht, lequel avait été ratifié six mois plus tôt par référendum. Il reste fidèle à la politique de stabilité monétaire mais ne peut éviter de s'éloigner quelque peu de l'objectif de convergence des politiques économiques qui doit prévaloir dans cette phase préparatoire à l'avènement d'une monnaie commune européenne ; les déficits publics se creusent en 1994. En outre, derrière des arguments d'ordre technique avancés en particulier par le ministre de l'Intérieur Charles Pasqua, la France freine l'entrée en vigueur des accords de Schengen sur la libre circulation des personnes dans l'Union.
Les questions européennes divisent en fait la majorité, qui compte dans ses rangs bon nombre de députés hostiles au traité de Maastricht. Alors que l'on approche de l'échéance présidentielle, ces tensions internes pèsent sur la politique européenne du gouvernement. Contrairement à l'attente des dirigeants allemands, qui ont affaire chez eux à une opinion beaucoup plus consensuelle, les responsables gouvernementaux en France hésitent à s'engager dans le débat sur la réforme des institutions de l'Union qui doit précéder l'élargissement à des pays d'Europe de l'Est.
Les dirigeants français sont unanimes à plaider, fin 1994, pour un « rééquilibrage » de la politique extérieure de l'Union au profit des pays méditerranéens. Ils s'efforcent, au sommet d'Essen, les 9 et 10 décembre, d'obtenir de leurs partenaires européens des engagements chiffrés en matière d'aide à ces pays, pour contrebalancer des politiques exclusivement tournées vers le nord et l'est. Ils n'obtiennent aucun engagement concret, de même qu'ils n'ont pratiquement rien obtenu, sinon des déclarations de principe, quand, pendant toute l'année 94, ils se sont efforcés de sensibiliser leurs partenaires au problème algérien.
Le drame algérien
Depuis septembre 1993, les assassinats se multiplient en Algérie. Leur rythme s'intensifie en 1994 (on dénombre, parmi les nombreuses victimes algériennes et étrangères, une vingtaine de Français) tandis que la répression se fait de plus en plus violente. Le gouvernement français conseille à ses ressortissants de rentrer et s'efforce d'assurer la sécurité de ceux qui doivent rester sur place. Les Européens ne s'accordent pas même sur le traitement qu'il convient de réserver aux dirigeants islamistes installés chez eux. Charles Pasqua en fait reproche à certains partenaires de la France, dont l'Allemagne. En août, après l'assassinat de cinq ressortissants français à Alger, 26 sympathisants islamistes ou présumés tels sont interpellés en France et assignés à résidence à Folembray, dans l'Aisne. Vingt d'entre eux seront expulsés le 31 août vers le Burkina. Cet épisode s'ajoute à différentes affaires (dont le renvoi vers l'Iran de deux ressortissants de ce pays détenus en France et dont la Suisse réclamait l'extradition, et, en août, la livraison à la France par les autorités soudanaises du terroriste présumé Carlos, recherché depuis vingt ans) au cours desquelles le ministre de l'Intérieur a donné l'impression d'entretenir ses propres contacts à l'étranger et de mener sa « diplomatie parallèle ». Il lui est reproché, à propos de l'Algérie, de mener une politique du « tout sécuritaire » qui apparaît comme un soutien aux autorités algériennes et le Premier ministre sera contraint de mettre les choses au point et de rappeler que la France n'a qu'une politique étrangère, en l'occurrence plus nuancée à propos de l'Algérie. Le 24 décembre, l'affaire de l'avion d'Air France pris en otage par le G.I.A. repose le problème dans toute son acuité.
L'opération « Turquoise »
L'opération « Turquoise » est lancée à la fin du mois de juin, après l'adoption de la résolution 929 du Conseil de sécurité des Nations unies. Elle est limitée dans le temps et doit servir de relais à la mise en place, deux mois plus tard, de la force des Nations unies MINUAR 2. Elle mobilise 2 500 soldats français, dont le premier détachement pénètre au Rwanda le 23 juin, alors qu'on évalue à 500 000 le nombre de victimes qui ont péri lors des massacres, en majorité des membres de l'ethnie tutsie. Paris entretient cependant des relations difficiles avec le FPR, qui lui reproche d'avoir soutenu le précédent régime (hutu) au Rwanda alors que celui-ci armait les milices. La France insiste de son côté sur la nécessaire démocratisation du nouveau gouvernement et conditionne son aide au retour des réfugiés. Le gouvernement rwandais ne sera pas invité au sommet franco-africain de Biarritz, les 8 et 9 novembre.
Le bourbier bosniaque
La politique de la France est aussi mise en cause à propos de la Bosnie, où la guerre se poursuit, en particulier à la veille des élections européennes, lorsque quelques intellectuels mobilisent l'opinion pour réclamer une levée de l'embargo sur les armes au profit des Musulmans.