Au Proche-Orient, l'optimisme suscité par l'accord de paix israélo-palestinien du 13 septembre 1993 ne dure pas. Le 25 février, un médecin de la colonie juive de Kyriat Arba, en Cisjordanie, mitraille au fusil d'assaut la foule des fidèles dans la mosquée du caveau des patriarches à Hébron. Le 1er juillet, Yasser Arafat, le chef de l'OLP, arrive à Gaza après 27 ans d'exil. Mais les sifflets succèdent bientôt aux applaudissements. Les Palestiniens, qui trouvent bien lente l'arrivée de l'aide économique promise par la communauté internationale, renvoient dos à dos Arafat et les Israéliens. Au premier, ils reprochent son incapacité à gouverner efficacement l'« entité » de Gaza et Jéricho. À l'État hébreu, ils reprochent de saboter l'autonomie palestinienne telle qu'elle est prévue par les accords de paix. Israël normalise ses relations avec la Jordanie et tente de poursuivre la négociation avec la Syrie. Mais l'engrenage de la violence s'emballe.
Même les vieilles démocraties occidentales ne sont pas immunisées contre la contestation. La vague de fond populiste remet en cause bien des certitudes. Bill Clinton en fait l'expérience amère à l'occasion des législatives qui marquent, le 8 novembre, la mi-course de son mandat de quatre ans. Pour la première fois depuis quarante ans, le Parti républicain obtient la majorité à la Chambre des représentants. Dans la foulée, les républicains retrouvent aussi la majorité au Sénat, qu'ils avaient perdue en 1986. Le président paie le prix d'une aspiration, chez les électeurs, à un retour aux vieilles valeurs. Malgré la reprise époustouflante de l'économie ; malgré l'invasion pacifique de Haïti qui avait permis, en octobre, de rendre sa présidence à Jean-Bertrand Aristide ; malgré l'habileté avec laquelle, en octobre également, Washington avait obtenu que Saddam Hussein fasse reculer les troupes qui, de nouveau, paraissaient menacer le Koweit... Ce scrutin étant en réalité un vote sur sa popularité, c'est un véritable référendum que Bill Clinton a perdu. À deux ans de l'élection présidentielle, il fait désormais figure de canard boiteux.
En Italie, Silvio Berlusconi mesure également combien la faveur des électeurs peut être fugace. Élu triomphalement le 28 mars, le richissime homme d'affaires forme un gouvernement de coalition qui entend fonder la deuxième république italienne. Mais, abandonné par la Ligue du Nord qui rejette son alliance avec les néofascistes, Silvio Berlusconi est condamné en décembre.
Espoirs. Il y a quand même des raisons d'espérer. Sur tous les continents, la raison finit par l'emporter dans bien des conflits. Ainsi, en Afrique du Sud. Les premières élections multiraciales, qui se déroulent du 26 au 29 avril, débouchent sur un compromis. Les Noirs de l'ANC obtiennent évidemment la majorité absolue au Parlement, mais le National Party, dont les électeurs sont surtout blancs, arrive en deuxième position avec 20 % des voix. Nelson Mandela devient président, mais l'ancien chef de l'État, le Blanc Frederik De Klerk, est vice-président.
Mais c'est l'Europe occidentale qui donne le meilleur exemple. En Irlande du Nord, le gouvernement britannique obtient que les catholiques et les protestants renoncent au terrorisme pour se retrouver autour d'une table de conférence. L'Allemagne confirme sa stabilité puisque Helmut Kohl, au pouvoir depuis 1982, obtient un quatrième mandat à l'issue des élections du 16 octobre. Enfin, l'élargissement de l'Union européenne est un succès. Certes, pour la deuxième fois en 23 ans, la Norvège dit non. Mais l'Autriche, la Finlande et la Suède s'empressent de dire oui. L'Europe des 12 a vécu, vive l'Europe des 15. Il faudrait que le reste du monde s'inspire de la formule de Victor Hugo que le Vieux Continent, tout au moins son versant ouest, a fini par faire sienne : « Une guerre entre Européens est une guerre civile. »
Charles Lambroschini
Rédacteur en chef au Figaro, chargé de la politique étrangère