Violence et espoir
Cinq ans après la chute du mur de Berlin, la planète semble toujours à la recherche de son centre de gravité. Un peu partout, cette année aura fini comme elle a commencé : par des combats, des troubles, des attentats, des risques d'insurrection, des menaces de représailles. Pourtant, dans ce désordre du monde, quelques lueurs ont surgi, ici et là, qui semblent tracer les voies d'un nouvel équilibre.
En Bosnie-Herzégovine, les Serbes ont gagné la guerre et, du coup, les Occidentaux sont obligés de reconnaître publiquement leur impuissance à imposer un compromis sans vainqueur ni vaincu. Tel est le résultat avoué le 27 novembre par William Perry, le secrétaire américain à la Défense. Les Serbes venaient de reconquérir la poche de Bihac dont l'armée bosniaque s'était emparée en octobre. Le plan de paix du « Groupe de contact » (États-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne, Allemagne) n'a plus grande chance d'être appliqué. Les Serbes, qui contrôlent 70 % du territoire, ne voient aucune raison de se contenter des 49 % que leur allouent les diplomates. Démoralisés, les Casques bleus se retrouvent dans une impasse. Ils ne disposent pas des gros bataillons qui leur seraient nécessaires pour se faire respecter, car le président Bill Clinton, si prompt à évoquer une levée de l'embargo sur les armes, ne veut surtout pas enliser les fantassins américains dans le bourbier bosniaque. Mais un retrait s'annonce politiquement impossible : l'opinion occidentale ne pardonnerait pas que l'ONU abandonne les populations civiles au massacre.
En Europe de l'Est, l'instabilité ne se limite pas à l'ex-Yougoslavie. Larvée depuis 1991, la crise entre Moscou et la petite république tchétchène, qui explose fin novembre, rappelle combien l'expérience démocratique en Russie reste fragile. En ordonnant l'invasion de cette république musulmane d'à peine un million d'habitants, Boris Eltsine obéit à des motivations contradictoires. Il lui faut plaire à l'armée et aux conservateurs, communistes ou nationalistes, qui craignent un éclatement de la fédération russe peuplée de cent nationalités différentes. Mais l'intervention ne doit pas se solder par un bain de sang. Le président russe y perdrait la légitimité que lui a donnée, avec sa politique de réformes, le soutien aussi bien des démocrates que des militaires. Boris Eltsine se retrouve confronté au même dilemme qu'en octobre 1993, lorsqu'il avait fait ouvrir le feu contre les parlementaires putschistes. Pour sauver la démocratie, l'emploi de la force est-il acceptable ?
Loin du Vieux Continent, au sud du monde et au bout du désespoir, les factions politiques qui s'affrontent n'ont pas de ces états d'âme. La violence est la seule réponse. Au Mexique, les Indiens de l'État du Chiapas prennent les armes en janvier pour réclamer la redistribution des terres. Mais, au sommet, la force semble aussi la seule règle du jeu. Luis Donaldo Colosio, le successeur adoubé par le président sortant Salinas, est assassiné en pleine campagne électorale. C'est quand même le candidat du PRT, au pouvoir depuis 1929, qui, une fois de plus, remporte les présidentielles en août. Et que dire de l'Algérie ? La guerre civile ne cesse de croître en sauvagerie. Dans chaque camp, on torture et on massacre. En deux ans, le bilan est d'au moins 20 000 morts. Ce n'est rien en comparaison du génocide dont sont victimes les Tutsis du Rwanda : ils sont au moins 500 000 à tomber sous les coups des Hutus, l'ethnie majoritaire. Cette orgie sanglante n'a d'égale que les massacres commis par les Khmers rouges dans les années 1970 et les horreurs nazies pendant la guerre. Le détonateur, c'est l'attentat, le 6 avril, contre l'avion qui transportait les présidents du Rwanda, Juvénal Habyarimana, et du Burundi, Cyprien Ntaryamira, tous deux Hutus. Les exécutions sommaires commencent aussitôt. Certains pays de l'OUÀ (Organisation de l'unité africaine), relayés par la presse anglo-saxonne, accusent la France de vouloir secourir l'ancien régime qu'elle avait longtemps soutenu. Mais il n'y a pas de volontaires pour venir remplacer les militaires français. Le concert de récriminations s'arrête lorsque aux victimes des massacres s'ajoutent celles du choléra. Alors les Américains parachutent vivres et médicaments tandis que la Croix-Rouge internationale ouvre un pont aérien. Le 21 août, les derniers Casques bleus français quittent le Rwanda.