Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Le sous-continent indien

Inde

Mille jours au pouvoir : aucun observateur n'aurait énoncé cette prédiction lorsque Narasimha Rao, homme politique âgé d'audience régionale, a succédé à Rajiv Gandhi, en 1991. Pourtant, le relâchement des tensions internes qui affectent l'Inde en permanence renforce l'autorité du parti du Congrès-1, auparavant très contestée. Une croissance économique soutenue permet aussi de poursuivre la libéralisation de l'économie, qui semblait, au départ, un pari audacieux. En revanche, la lutte contre la résistance musulmane au Cachemire se solde par un échec. Aucun compromis n'est possible avec le Pakistan, malgré les propositions indiennes de démilitarisation partielle de la région.

La lutte contre les extrémistes obtient des succès indéniables. Sans relâcher la répression au Pendjab, le gouvernement laisse s'y dérouler des élections libres comme dans les autres États de l'Union et y assure des conditions de vote acceptables. Les résultats ne provoquent pas de contestations majeures et la révolte sikh s'apaise. La surveillance des foyers d'opposition musulmane a limité les violences ; la recherche des terroristes qui avaient provoqué des incidents sanglants en mars 1993 aboutit à l'arrestation de Yakub Menon, membre d'une des grandes familles musulmanes de Bombay, et de l'acteur de cinéma Sanjay Dutt, le Rambo indien. Le Bharatiya Janata Party (BJP), le grand rival du parti au pouvoir, qui attisait les provocations hindouistes, perd plusieurs élections régionales. Enfin, le parti du Congrès-1 accueille dans son groupe parlementaire 10 députés de centre gauche, transfuges du Janata Dal, et reconstitue ainsi une véritable majorité au Parlement de New Delhi. Néanmoins, une coalition regroupant intouchables, basses castes et musulmans gouverne désormais dans l'Uttar Pradesh, l'État le plus peuplé de l'Union (au moins 110 millions d'habitants), et menace « l'ordre brahmanique » que défend Narasimha Rao. Ainsi, à l'automne, de violents affrontements opposent partisans et adversaires d'une augmentation des quotas réservés aux basses castes dans l'administration publique.

La libéralisation de l'économie indienne est sur la voie de la réussite. Amorcée lors de la crise des paiements extérieurs de 1991, elle est renforcée après le vote du budget pour l'année fiscale 1994-1995. L'impôt sur les sociétés a été baissé de 10 %, les droits sur les importations réduits de 20 %. La roupie est devenue totalement convertible pour les paiements courants.

La poursuite de l'ouverture économique a été justifiée par le retour de la croissance. Le PIB augmente actuellement de 4 à 5 % par an. Le déficit de la balance des paiements, qui avait atteint 10 milliards de dollars en 1990-1991, s'élève seulement à 800 millions de dollars. Malgré des hausses passagères de l'inflation – dont le taux annuel a baissé de 17 % en 1991 à 8 % en 1994 – et des accès de fièvre spéculative, particulièrement sensibles à la Bourse de Bombay, la prudente réinsertion de l'Inde dans l'économie mondiale vaut à ses dirigeants l'estime des organisations internationales. Cette considération s'est clairement manifestée lorsque le Forum de Davos a confié le discours final, concluant la session de 1994, à Narasimha Rao.

Inde : la peste pulmonaire qui s'est propagée à partir de Surat, en septembre, a provoqué l'exode de 400 000 personnes. La maladie s'est diffusée vers Bombay et Delhi. Des camps sanitaires ont été ouverts et des quartiers d'isolement installés dans les hôpitaux. À l'étranger, les voyageurs provenant de l'Inde ont été soumis à des contrôles dans les aéroports. Dans le fuseau compris entre l'Égypte et la Malaisie, plusieurs États ont suspendu les relations aériennes avec l'Inde. Il y a 20 ans, l'Organisation mondiale de la santé avait annoncé l'éradication définitive de la peste en Inde. Au bout du compte, l'épidémie semble se solder par une soixantaine de morts.

La diminution de la population féminine en Inde a alerté les services de la santé et suscité l'intervention du Parlement. L'échographie et l'amniocentèse, devenues courantes dans les campagnes indiennes, provoquent la multiplication des avortements sélectifs, réservés aux fœtus de sexe féminin. Les tests médicaux sont désormais réglementés et les médecins ne sont plus autorisés à révéler aux parents le sexe de l'enfant en gestation. Des amendes et des peines d'emprisonnement sanctionnent les infractions. En Inde, pour 1 000 garçons naissent 927 filles.

Tension au Népal : une partie des députés du parti du Congrès est passée à l'opposition, provoquant ainsi la chute du gouvernement de Girija Prasad Koirala. Le Parlement a été dissous. Chargé d'expédier les affaires courantes, M. Koirala a dû faire face à deux grèves générales et à des manifestations violentes. Malgré cette situation difficile, le roi Birendra est venu en France en septembre. Depuis une dizaine d'années, les entreprises françaises sont actives au Népal, qui bénéficie aussi de concours financiers et d'une aide alimentaire.

Pakistan

La persistance de la crise avec l'Inde entame vite l'autorité du Premier ministre Benazir Bhutto et de sa formation, le Parti du peuple pakistanais (PPP), après leur victoire, à l'automne 1993, sur la Ligue musulmane du Pakistan (PML) de Nawaz Sharif. En matière diplomatique, si la France assure le renouvellement de la flotte sous-marine, les relations avec les États-Unis restent tendues, et l'embargo très strict sur les fournitures d'armes américaines sanctionne la politique inavouée d'armement nucléaire du Pakistan. À Genève, lors de la Conférence des droits de l'homme des Nations unies, au mois de février, Mme Bhutto croit pouvoir condamner violemment l'intervention de l'Inde au Cachemire, « qui rappelle les jours les plus sombres de l'Holocauste ». Complètement isolée, la délégation pakistanaise doit retirer sa motion. Au Pakistan même, le gouvernement ne réussit pas à maîtriser les troubles provoqués par les minorités Afghans, Arabes, rapatriés de l'Inde, chiites et chrétiens inquiets de l'application abusive de la loi sur le blasphème, dont Mme Bhutto n'a pu obtenir au Parlement la limitation. De plus, les dissensions internes de la famille Bhutto accroissent encore la précarité de l'équilibre politique : Nusrat Bhutto, la douairière, soutient son fils Murtaza – député, et mène campagne contre sa fille. Selon la mère du Premier ministre, « Benazir parle de démocratie et agit en dictateur. » En matière économique, Mme Bhutto maintient la politique d'inspiration libérale de son prédécesseur Moeen Qureshi, au risque de décevoir une partie de son électorat populaire.

Bangladesh

L'intransigeance religieuse, toujours latente au Pakistan et en Inde, s'est extériorisée en 1994 au Bangladesh. Deux groupes musulmans extrémistes condamnent à mort Taslima Nasreen, gynécologue devenue journaliste et romancière, et dont les deux derniers livres sont considérés comme blasphématoires. Menacée par un mandat d'arrêt, la romancière se terre, aidée par un réseau d'amis. Contrairement à Salman Rushdie, poursuivi par l'État iranien, Taslima Nasreen obtient des garanties et se présente à la justice le 3 août. Libérée sous caution, elle quitte le Bangladesh puis se réfugie en Suède.