Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Ex-Yougoslavie : le drame continue

Bosnie

Si, pendant quelques mois, on a pu croire que le conflit bosniaque (150 000 morts et 2 millions de personnes déplacées à la mi-1994) rentrait petit à petit dans le rang, l'actualité a été vite relancée, tant sur le terrain qu'autour des tables de négociations. Certains espoirs, fondés sur de froids calculs, ont été esquissés. Ils ont été vite démentis et l'année se termine dans la violence et l'expectative.

Paris/Washington

Le mois de janvier est marqué par les traditionnelles passes d'armes diplomatiques franco-américaines, le Quai d'Orsay reprochant à Washington de ne pas être clair dans l'affaire bosniaque et de refuser, pour des raisons morales spécieuses, de cautionner réellement le plan de découpage de la Bosnie. Certes, ce plan entérine le fait de l'agression serbe, mais au moins constitue-t-il une base pour la cessation des hostilités. Tout est relancé, le 4 février, après le monstrueux bombardement d'un marché de Sarajevo qui fait près de 70 victimes. Le symbole est trop fort, les images à la télé, trop dramatiques pour que l'on continue à ne rien faire. Sur initiative française, l'OTAN lance un ultimatum aux Serbes, qui doivent cesser leurs bombardements sur la capitale bosniaque et évacuer leurs armes lourdes dans un rayon de 20 km du centre de la ville. Une fois n'est pas coutume, Français et Américains se retrouvent au coude à coude : les premiers voyant dans cet ultimatum le moyen de sortir du piège humanitaire où ils se sont mis depuis 1992 (« impossible de rester, impossible de partir ») ; les seconds y voyant la possibilité de confirmer leur politique d'intervention sans envoi de GI sur le terrain. La Russie cautionne le tout en proposant l'envoi de Casques bleus russes supplémentaires. Devant un tel front international, les Serbes s'exécutent et Sarajevo peut enfin respirer. Les soldats de l'ONU contribuent à rétablir les services publics et les sinistres snipers serbes ont disparu des fenêtres. Une embellie en entraîne souvent une autre : Croates et Musulmans s'accordent pour mettre fin définitivement à leurs affrontements en Bosnie. Le 18 mars, ils décident même du principe d'une fédération. Il est prévu un exécutif et un parlement communs, un régime douanier, voire une union monétaire, mais surtout une carte, avec un accès à la mer pour la Bosnie (au port de Ploce) et une intégration dans le territoire de celle-ci de la poche sécessionniste de Bihac, proclamée en septembre 1993 « Province autonome de Bosnie occidentale » par le Musulman Fikret Abdic.

La « carte » Milosevic

La guerre n'est pas finie pour autant. En avril, on s'inquiète pour Gorazde, à l'est de la Bosnie, qui croule sous un déluge de feu. Les avions de l'ONU rentrent en action pour tenter de dégager la ville, mais, cette fois, les Russes désapprouvent. Les querelles franco-américaines reprennent, sur un mode plus feutré. En mai, François Léotard, ministre de la Défense, annonce, pour la fin de l'année, un retrait de 2 500 des 6 800 Casques bleus français de Bosnie. Une façon de rappeler que, contrairement à d'autres, la France est sur le terrain. À Washington, le Sénat, qui craint plus que tout un engagement trop poussé des Américains en Bosnie, est favorable à une levée de l'embargo sur les armes dans la région. Une telle solution rendrait impossible le maintien de la présence des Casques bleus. Bill Clinton affirme qu'il est opposé à une telle décision, mais chacun se demande pour combien de temps. Dans le même temps, les puissances du « groupe de contact » (Allemagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie) continuent à travailler sur un nouveau plan de paix fondé sur un partage territorial. Celui-ci est connu en juillet : Croates et Musulmans se voient attribuer 51 % du territoire et les Serbes, qui en contrôlent 70 %, en reçoivent 49 %. Le plan n'est pas négociable, puisqu'il est accompagné d'un ultimatum (renforcement sévère des « zones d'exclusion » et, éventuellement, levée de l'embargo sur les armes). À contrecœur, Croates et Musulmans donnent leur accord, mais aussi – et cela apparaît comme un point capital – Slobodan Milosevic, Président de la Serbie. Celui-ci va jusqu'à enjoindre ses cousins de Bosnie d'en faire autant. Pour Alain Juppé, la « carte Milosevic » constitue un atout de première importance. Le ministre français des Affaires étrangères estime que M. Milosevic a atteint l'essentiel de ses objectifs et qu'il est temps pour ce dernier de se dégager du fardeau des sanctions internationales qui gênent considérablement la vie de ses compatriotes. En septembre, les Nations unies décident d'alléger les sanctions pesant sur la Serbie, cautionnant a posteriori la conduite si souvent cynique du leader de Belgrade. Entre-temps, celui-ci avait décrété la fermeture de la frontière entre la Serbie et la Bosnie afin de punir – ou d'avoir l'air de punir – les Serbes de la République autoproclamée de Pale (faubourg de Sarajevo) d'avoir rejeté le plan du « groupe de contact ».

Logique de guerre

À l'automne, le vent semble tourner en faveur des Musulmans bosniaques qui mènent une offensive éclair contre leurs adversaires serbes. Ils remportent d'importants succès sur le terrain, ayant réussi, depuis la nomination en novembre 1993 par le président Alija Izetbegovic d'un nouveau Premier ministre, Haris Silajdzic, à restructurer leurs forces armées dont certains vont jusqu'à penser qu'elles sont entraînées par des conseillers occultes américains. La logique de guerre, fût-elle d'autodéfense, semble l'emporter de nouveau.