Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

Danse : valse hésitation

La mission confiée par le ministère de la Culture à plusieurs personnalités du monde de la danse pour contribuer à la solution du problème des compagnies attachées aux théâtres municipaux n'aura, pour l'instant, guère obtenu de résultats concrets. La plupart des directeurs d'Opéras régionaux sont trop jaloux de leurs prérogatives pour abandonner une part majoritaire du contrôle de leurs compagnies, d'autant que la danse reste un élément de prestige important. De son côté, le ministère veut bien donner des conseils gratuits, mais pas d'aide financière s'il n'a pas droit de regard sur les nominations et programmations. Ainsi, 1994 aura surtout vu arriver de nouveaux noms à la tête d'institutions existantes, sans vraie refonte des structures. Mathilde Monier succède à Dominique Bagouet à Montpellier, Catherine Diverres remplace Gigi Gagiuleanu à Rennes, Joëlle Bouvier et Régis Obadia s'installent au CNDC d'Angers, Daniel Larrieu prend à Tours la place de Jean-Christophe Maillot, nouveau patron à Monte-Carlo ; enfin, Éric Vu An est nommé à Bordeaux à la suite de Paolo Bortoluzzi. La seule vraie crise a été celle du Ballet du Nord, laissé par Jean-Paul Comelin avec un vaste déficit. Désigné par le conseil d'administration, Angelin Preljocaj se heurte alors à la résistance des danseurs et à un mouvement d'opinion s'élevant contre la transformation en compagnie contemporaine de l'un des ultimes centres classiques restant en France. Ayant mieux à faire que de s'imposer par la force, sollicité de toutes parts, le nouveau directeur a l'élégance de se retirer. On lui donne Châteauvallon à la place. Mais la victoire des défenseurs de classique a été de courte durée : c'est finalement Maryse Delente qui l'emporte, préférée contre toute attente à deux étoiles de l'Opéra, Guizerix et Lormeau.

L'avenir du classique

Il continue à préoccuper tous ceux qui refusent les ghettos et savent que cette base est celle de toute danse. Le jubilé de Claude Bessy, directrice de l'école de danse de l'Opéra national de Paris depuis vingt ans, rappelle le formidable succès de cet enseignement qui fait de la compagnie de l'Opéra la meilleure au monde actuellement. Mais que faire de tous ces danseurs formés au classique, si l'on ne développe pas les compagnies aptes à les employer et si de nouveaux chorégraphes ne sont pas encouragés ?

Les stars gardent pourtant leur public. Patrick Dupond, plus médiatisé que jamais, est le remarquable créateur de l'opéra Caméra oscura de Roland Petit. Sylvie Guillem foule à nouveau les scènes françaises, avec l'Opéra pour quelques Bayadère, avec le Béjart Ballet Lausanne, qui fait son grand retour à Chaillot, et avec le Kirov dans la Fontaine de Bakchisaraï au Théâtre des Champs-Elysées. Maurice Béjart, lui, avec cinq programmes, renoue avec le public parisien, à qui il a présenté notamment son King Lear-Prospero, créé en juillet au festival de Montpellier Danse, ainsi qu'une création mondiale, le Journal, premier volet d'un nouveau regard vers le passé. Mais c'est une nouvelle fois le Ballet de l'Opéra national de Paris qui, s'installant pour dix-huit mois à la Bastille durant les travaux du palais Garnier, aura marqué le plus de points avec un éblouissant spectacle Balanchine-Robbins pour ouvrir la saison.

Les grands invités

L'Opéra – toujours lui – s'est fait l'hôte du Tokyo Ballet et du San Francisco Ballet, tandis qu'à l'Opéra-Comique Boris Eifman a créé un remarquable Tchaïkovski avec son Ballet Théâtre de Saint-Pétersbourg. Outre la curiosité de la Fontaine de Bakchisaraï, révélant la divine Youlia Makhalina, le Kirov, redevenu Théâtre Marie, a proposé, tant à Orange qu'à Paris, un discutable Coppélia et Casse-Noisette. Consacrée à la danse africaine, la Biennale de Lyon a permis de revoir notamment le Harlem Ballet et la compagnie Alvin Ailey. Au Châtelet, William Forsythe et ses danseurs de Francfort ont triomphé, comme chaque année.

Ce panorama ne serait pas complet si l'on n'y ajoutait quelques vraies réussites des régions françaises, avec les suites pour violoncelle seul de Bach proposées en six solos par Régine Chopinot, la recréation de l'Ombre de Taglioni par le Ballet de Nancy de Pierre Lacotte, invitant Alessandra Ferri et Noëlla Pontois, et la passionnante soirée Kurt Jooss du Ballet du Rhin.

Gérard Mannoni