Le « recollage » des deux Allemagnes se poursuit grâce à un fort redressement économique. L'inflation a connu une baisse spectaculaire d'un point environ au début de l'année et avoisine en fin d'année les 2,5 %, retrouvant son niveau de fin 1990. Le chômage, qui touchait 4 millions de personnes au début de l'année, en comptait 500 000 de moins en septembre.
Les Allemands ont le sentiment de parvenir bientôt à maîtriser les principaux problèmes nés de l'unification. Ils sont aussi conscients que leur pays est désormais considéré comme un modèle dans le monde entier. De plus, Berlin, ancienne future capitale, attire non seulement les mafieux, mais aussi les réfugiés, les hommes politiques et les hommes d'affaires de toute l'Europe de l'Est : tout cela a dopé une conscience nationale qui n'existait pas encore l'année précédente, empêtrée dans les menées de l'extrême droite et des néonazis. Les attentats xénophobes et racistes ont diminué en nombre. Les limitations apportées en 1993 au droit d'asile ont ici joué un rôle : les réfugiés, notamment en provenance de l'ex-Yougoslavie, sont moins concentrés, et donc moins visibles. La répression s'est aussi accentuée. Quant au parti d'extrême droite des républicains, miné par ses dissensions internes, il est revenu à des scores électoraux insignifiants.
Positif. L'accueil passionné réservé par le public au film hollywoodien la Liste de Schindler a donné un coup d'arrêt, au moins pour un temps, aux agitations révisionnistes. Trouvant dans le film de Steven Spielberg, en la personne de Schindler, la figure d'un héros allemand positif, les Allemands voyaient aussi, à la faveur des nombreuses manifestations commémoratives de l'année, se multiplier les occasions de sortir de l'ombre portée du nazisme. Car, à quelques mois de la commémoration du 8 mai 1945, l'Allemagne nazie paraît bel et bien enterrée sinon dans ses dimensions historiques et morales, du moins comme entrave à une politique allemande souveraine. Symbole de cette souveraineté retrouvée : le départ des derniers soldats russes de Berlin, le 31 août, et celui des Alliés occidentaux, le 8 novembre. Tenus à l'écart des commémorations du Débarquement en Normandie, les Allemands voyaient, le 12 juillet, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe autoriser la participation de la Bundeswehr à des actions militaires hors du territoire opérationnel de l'OTAN, à condition qu'elles s'effectuent sous le couvert de l'ONU ou de l'OTAN et qu'elles soient acceptées par une majorité simple au Bundestag. Lequel devait approuver peu après, à une écrasante majorité, la participation allemande à des missions de surveillance aériennes et maritimes de la zone balkanique. Deux jours après la décision de Karlsruhe, une unité allemande de l'Eurocorps prenait part au défilé du 14 Juillet à Paris. Le 20 octobre, l'Allemagne était élue pour deux ans membre provisoire du Conseil de sécurité de l'ONU, présage pour le ministre des Affaires étrangères, Klaus Kinkel, d'une admission permanente.
Sur le terrain européen, l'Allemagne aura assumé sans complexe le rôle que lui dévoluait, le 11 juillet, le président américain Bill Clinton quand il assurait les Berlinois que le « leadership de l'Allemagne serait crucial pour parvenir à une Europe plus unie ». Ainsi, quand la France envoie en juin au Parlement de Strasbourg des partis ectoplasmes et des adversaires résolus de la construction européenne, les députés européens allemands sont, eux, issus des deux grands partis favorables à l'Europe : le social-démocrate allemand Klaus Hansch enlève la présidence.
Et c'est d'Allemagne encore que vient, le 1er septembre, la seule contribution politique novatrice de cette année à la construction européenne, sous la forme d'un document de la CDU, le parti du chancelier : on en retiendra l'appel pathétique à la constitution d'un « noyau dur » franco-allemand ayant vocation, à travers la mise en place d'une « Europe à plusieurs vitesses » (qui sera très mal perçue en Europe du Sud), de promouvoir l'ouverture rapide de l'Union à l'Europe de l'Est.