Allemagne : sur la voie du leadership ?
L'année politique fut riche en élections de toutes sortes, régionales – le renouvellement des parlements des Länder –, nationale (Roman Herzog remplace, le 23 mai, Richard von Weizsäcker comme président fédéral), européenne. Elle se clôt sur la reconduction pour quatre ans de la coalition des chrétiens-démocrates et des libéraux, dirigée par le chancelier Helmut Kohl. La victoire de la CDU/CSU et du FDP aux élections du 16 octobre est d'abord à porter au crédit personnel du « chancelier de l'unité », garant de la stabilité politique et bénéficiaire d'un redressement inespéré de l'économie allemande. Le 12 juin, les élections européennes voyaient les chrétiens-démocrates et les chrétiens-sociaux bavarois s'adjuger plus de 40 % des suffrages – et une avance de 8 % sur les sociaux-démocrates –, démentant tous les sondages qui prédisaient leur effondrement. Certes, la majorité obtenue par Kohl au Bundestag est faible : 10 sièges seulement sur un total de 672. Mais cette faiblesse même apparaît comme un gage de pondération des électeurs et de fiabilité du système politique, en ce qu'elle conforte l'équilibre existant entre Bundestag et Bundesrat. Dans ce dernier, en effet, les sociaux-démocrates du peu charismatique Rudolf Scharping contrôlent non seulement les gouvernements de 9 des 13 Länder, mais dirigent aussi les 4 Länder restants dans le cadre de « grandes coalitions » régionales avec la CDU (Berlin, Bade-Wurtemberg, Thuringe et Mecklembourg). Or, dans toutes les questions importantes, le chancelier devra obtenir l'aval du Bundesrat : on verra alors se dessiner la recherche de compromis entre les positions des conservateurs et celles des sociaux-démocrates, bref, une sorte de grande coalition nationale, informelle. Comme on sait, de plus, que la culture politique allemande est échaudée par son expérience historique et peu portée sur les aventures, on peut s'attendre à ce que le consensus politique fonctionne à plein et que la « Commission de conciliation » censée régler les différends entre Bundestag et Bundesrat soit amenée dans les prochaines années à jouer un rôle de premier plan.
Mais tout comme la première « grande coalition » CDU/SPD de 1966-1969 avait vu émerger une « opposition extraparlementaire » dont les avatars devaient durablement et profondément marquer la vie du pays (extrême gauche alternative, terrorisme, écologistes), on devrait voir les populations en marge – les exclus du grand consensus – trouver une vigueur nouvelle, d'autant plus qu'elles sont maintenant représentées au Bundestag. C'est le cas des Verts, dont les élections d'octobre ont consacré l'enracinement dans la vie publique allemande. Troisième force du pays, ils s'imposent comme un partenaire recherché pour toute coalition. Présents aussi au Bundestag : les communistes réformés du PDS. Ils représentent principalement les intérêts et les frustrations des ex-Allemands de l'Est. Enfin, cinquième des partis représentés au Bundestag, le FDP est le partenaire direct de Kohl. Éjecté de tous les parlements régionaux, fragilisé par son score médiocre du 16 octobre (6,9 % des voix, soit 4,1 % de moins qu'en 1990 !), ce parti, qui était jusque-là le parti charnière de toute coalition, sait qu'il ne pourra pas longtemps enrayer sa perte d'influence et s'efforce d'échapper à sa marginalisation complète en tentant d'adopter des positions plus autoritaires et nationalistes. Chacune de ces petites formations va jouer dans les années à venir un rôle d'aiguillon politique : le FDP, en cherchant à regagner le terrain perdu ; les Verts, en travaillant à une possible plate-forme électorale avec le SPD en vue des prochaines élections ; et le PDS, par-delà toutes les réticences que suscitent les anciennes compromissions de la plupart de ses leaders avec l'État policier est-allemand, en se positionnant lui aussi comme possible allié du SPD dans une improbable « union de la gauche » à l'allemande. Reste que cette année apparaît comme une année de consolidation nationale et internationale des positions allemandes.