Mais elle invite du même coup à mieux comprendre les ressorts de l'attaque qu'il a subie de la part d'amis proches et les conséquences qu'elle peut avoir sur notre rapport à la mémoire. C'est en cela que l'affaire Mitterrand/Bousquet affecte tant la vie intellectuelle française, car elle est liée à la naissance d'une nouvelle école historiographique et au rôle accordé au passé quand l'avenir n'est plus le moteur de l'histoire.
Histoire/Mémoire
Tout un discours, qui se réclame d'une représentation caricaturale de la période de Vichy véhiculée par Zeev Sternhell ou Bernard-Henri Lévy, a laissé entendre que la France est un pays qui a perdu son âme durant la Seconde Guerre mondiale, un pays marqué par l'esprit et les pratiques de la collaboration.
Comment relire et écrire alors l'histoire de Vichy ? Cette interrogation est aujourd'hui, et plus que jamais après la polémique visant le parcours vichyste de l'actuel président de la République, à l'origine de nombreuses questions qui touchent le travail même de l'historien. Comment peut-on parler rétrospectivement de cette période ? Quel rapport à la République introduit la défaite ? Enfin, comment juger les crimes ?
Contre les lectures trop rapides (Voir l'article de l'historienne Claire Andrieu publié dans le Monde du 15/09/1994 et la réplique de Joël Roman dans Esprit, novembre 1994), il n'est pas mauvais de rappeler qu'une école historiographique (Jean-Pierre Azéma, Pierre Laborie, Daniel Lindenberg, François Bédarida, Philippe Burrin, Henri Rousso, Bernard Comte...) s'est constituée au fil des années et que notre compréhension des années Vichy s'est modifiée. Sans nier les erreurs profondes et le caractère antisémite du régime de Vichy, ces historiens, qui n'hésitent pas à se distancier violemment de la thèse de l'« idéologie française » (celle qui est vulgarisée par Zeev Sternhell et Bernard-Henri Lévy), ne cèdent pas à l'idée d'une « France fasciste » (le récent film de Marek Halter, les Justes, participe de ce même état d'esprit). Mais, entre le discours de culpabilisation entretenu par les médias qui n'interprètent l'histoire qu'à travers une grille manichéenne et le travail des historiens, l'équilibre est difficile à trouver. C'est pourquoi on a pu craindre un temps que la polémique ne favorise le retour en force des thèses les plus contestables, même si l'opinion publique n'a pas suivi l'attaque contre Mitterrand (voir l'analyse de Jacques et Mona Ozouf, in le Nouvel Observateur, 29/09/1994).
Mais ce débat renvoie simultanément à une interrogation plus profonde sur l'histoire française et le manque de confiance dont la société française fait actuellement preuve envers elle-même. Gilles Martinet l'a bien souligné : c'est au moment où l'Allemagne s'impose de plus en plus comme un pays démocratique (l'extrême droite, en dépit des craintes, y est faiblement représentée) et comme le moteur de l'Europe institutionnelle que la France découvre qu'elle est « le pays de la défaite ». La question est rémanente : la République est-elle ou non morte en juin 1940 ? Des controverses juridiques sont nées de cette mise entre parenthèses de l'ordre républicain durant les années du régime de Vichy : faut-il alors juger la République ? Dans un article publié par la revue le Messager européen (1994), Paul Thibaud avance dans une autre direction en suggérant que le gaullisme a correspondu à une entreprise de refondation historique.
Olivier Mongin
Directeur de la revue Esprit, auteur de Paul Ricœur, Seuil, 1994, et de Face au scepticisme, La Découverte, 1994.