Si la télévision et la justice lui donnaient du fil à retordre, il se sentait par contre assez à l'aise sur le plan économique. Il avait promis un allégement généralisé des impôts (remis à plus tard), la création d'un million d'emplois (« mais sur cinq ans ! », plaide-t-il maintenant) et l'assainissement des finances publiques. Selon toute logique, la victoire de la droite et la défaite de ceux qu'il s'obstine à appeler « les communistes » auraient dû doper la Bourse. Rien de tel. L'indice boursier a chuté, les obligations d'État ont reculé de 20 %, la lire a perdu 13 % de sa valeur par rapport au Mark et 5 % par rapport au dollar.
L'absence d'alternative politique
La droite pénalise le marché et les épargnants, la popularité de M. Berlusconi est entamée, mais la coalition au pouvoir, même divisée, reste électoralement puissante. Avec la victoire du « pôle des libertés », pour la première fois depuis le fascisme, le pouvoir revient à une coalition qui se revendique ouvertement à droite. Le noyau dur de sa base sociale est la moyenne et petite bourgeoisie laborieuse des régions richissimes du Nord, grande bénéficiaire du boom économique des années 80, prête à tout pour ne pas perdre ce qu'elle a amassé pendant cette période. Ayant tourné le dos à la Démocratie chrétienne dans la foulée de l'opération « Mains propres » contre la corruption des élus, elle fut un moment séduite par la Ligue du Nord de M. Umberto Bossi, puis rapidement lassée par la médiocrité de ses dirigeants et le manque de crédibilité de son leader, véritable saltimbanque de la politique. Malgré ses rodomontades quotidiennes contre M. Berlusconi et « les fascistes », M. Bossi sait très bien qu'en cas d'élections anticipées il ne retrouverait jamais, avec 6 à 7 % des voix, un groupe parlementaire aussi consistant que celui dont il dispose. Il suffit d'ailleurs que M. Berlusconi menace d'avoir recours aux urnes pour le calmer ou du moins pour terroriser ses troupes.
Aux législatives du 27 mars, la droite a reçu aussi de nombreux suffrages en provenance des milieux populaires. Ce sont les spectateurs des chaînes Fininvest, abreuvés quotidiennement par la « success story » du Cavalière : ses huit villas en Sardaigne avec leurs centaines de chambres et leurs piscines ; les châteaux dans la région milanaise et dans le monde entier, les bateaux et les clubs de foot, les avions privés et son épouse, ex-Miss Italie. Forze Italia est le premier parti chez les Italiens les moins instruits. S'il a si bien réussi pour lui-même, ont pensé ces électeurs, il réussira aussi pour nous. Quand M. Berlusconi a commencé à opérer des coupes claires dans le régime des retraites, ils sont descendus massivement dans la rue. Mais ils ne lui ont pas encore tourné le dos. Face au « danger communiste » qu'il agitait, les organisations criminelles qui contrôlent le Sud de l'Italie – Mafia sicilienne en tête – se sont également activées en sa faveur. Quant aux grands patrons, s'ils n'ont pas appuyé la coalition des droites pendant la campagne électorale, refusant de lier leur sort à celui d'un seul d'entre eux, ils ont vite retrouvé leur traditionnelle position progouvernementale, tout en continuant à faire savoir que la vulgarité du nouveau pouvoir et sa complaisance envers les fascistes n'étaient pas les bienvenues. D'autre part, tout le monde pense en Italie qu'il n'existe pas d'alternative politique à court terme. Ce qu'il reste du centre catholique préfère, poussé par l'Église, le ralliement à Berlusconi à une alliance du centre-gauche ; la gauche autour du PDS ne peut gouverner seule (la coalition des progressistes réunie autour d'elle ne dépasse pas les 35 %) et n'a pas de candidat pour le poste de Premier ministre. M. Berlusconi sait donc qu'il peut durer, même si l'ombre du chef néofasciste devient pour lui de plus en plus encombrante. Lâché par son allié de la Ligue du Nord, il démissionne le 22 décembre. Crédité de sondages favorables, il réclame des élections législatives anticipées. Le président de la République tente, pour sa part, de trouver une solution politique intermédiaire.
Chrono. : 13/01, 18/01, 11/02, 23/03, 28/04, 10/05, 6/06, 1/07, 14/07, 14/08, 7/09, 7/10, 12/11, 22/11, 6/12, 22/12.
Norberto Bobbio, Destra e sinistra, Donzelli, 1994.
Pierre Milza, Voyage en Italie, Plon, 1993.
Antonio Di Pietro, Diritti e doveri. Costituzione Italiana, Larus, 1994.
Luciano Bosio