Sciences et techniques
Transport : l'Ère de la vitesse
Inauguré le 6 mai par la reine Elisabeth II d'Angleterre et le président François Mitterrand, le tunnel sous la Manche met un terme à des millénaires d'insularité de la Grande-Bretagne. Six ans et demi de travaux et des moyens techniques hors du commun ont été nécessaires pour réaliser cette liaison ferroviaire composée de trois galeries parallèles de 50,5 km de long (dont 38 km sous la mer) : deux de 8,60 m de diamètre pour le passage du TGV, encadrant une troisième de 5,70 m de diamètre pour la circulation de navettes de service. Bien des obstacles politiques, techniques et financiers ont dû être surmontés pour que se concrétise le projet d'un lien fixe à travers la Manche. Mais l'ouvrage représente aussi un énorme défi économique : plus de 100 milliards de francs – le double de ce qui était prévu au départ – ont été investis et l'équilibre financier n'est pas attendu avant 2004 ! La mise en service du TGV Paris-Londres après celle, successivement, des TGV Sud-Est, Atlantique et Nord, consacre le retour du train, capable d'ajouter désormais la vitesse à ses atouts traditionnels (arrivée au cœur des villes, sécurité, faible pollution). Le développement du réseau de TGV va de pair avec la construction de nouvelles gares conçues comme des plates-formes intermodales aisément accessibles, constituant des pôles d'échanges entre le chemin de fer, l'automobile et l'avion, comme par exemple les gares de Satolas TGV près de Lyon, inaugurée fin juin, et de Roissy, au nord de Paris, mise en service en novembre. Concurrencé par le train sur les distances moyennes, l'avion conserve sa supériorité sur les grandes distances. Chez les principaux constructeurs aéronautiques, des études préliminaires sont engagées pour définir les caractéristiques essentielles d'un supersonique de deuxième génération qui permettrait, au siècle prochain, d'aller plus vite et plus loin (v. Les chantiers de la découverte, p. 261).
Les autoroutes de l'information
Le développement conjugué de l'informatique et des télécommunications ouvre de nouvelles perspectives pour le transport de l'information. Attendu pour la fin du siècle, l'avènement des autoroutes de l'information (ou autoroutes électroniques) – des réseaux de télécommunications à haut débit capables de transmettre de manière interactive des données informatiques, des textes, des sons et des images fixes ou animées – alimente de nombreux débats. Aux États-Unis, sous l'impulsion du vice-président Al Gore, l'Administration soutient activement les recherches en ce domaine. De nombreux experts s'accordent à penser que la maîtrise industrielle et technique de cette nouvelle filière constitue un enjeu capital et que le développement de tels réseaux d'échange d'information modifiera en profondeur le mode d'exercice de nombreuses activités économiques et sociales. D'autres, cependant, restent sceptiques. Le coût des investissements à réaliser pour mener à bien cette révolution technologique s'avère en tout cas considérable : de l'ordre de 200 milliards de francs, sur quinze ans, en France.
L'école française de mathématiques à l'honneur
À la différence des avancées technologiques, celles de la science restent souvent méconnues du grand public, particulièrement en mathématiques. La médaille Fields est la plus haute distinction mondiale en mathématiques. Créée selon le vœu posthume du mathématicien canadien John Charles Fields (1863-1932) pour compenser l'absence de prix Nobel en mathématiques, mais aussi pour lutter contre des ostracismes nationalistes consécutifs à la Première Guerre mondiale et donner ainsi un statut international à cette discipline, elle est décernée tous les quatre ans et la tradition s'est établie de la réserver à des mathématiciens âgés de moins de 40 ans. Lors du Congrès international de mathématiques qui se tient à Zurich du 3 au 11 août, quatre nouveaux lauréats sont désignés : deux Français, Pierre-Louis Lions, professeur à l'université Paris-IX-Dauphine, dont les travaux portent sur l'analyse de modèles mathématiques issus de la physique, de la chimie quantique et des sciences de l'ingénieur, et Jean-Christophe Yoccoz, professeur à l'université Paris-XI (Orsay), brillant spécialiste de la théorie des systèmes dynamiques ; un Belge, Jean Bourgain, professeur à l'Institute for Advanced Study de Princeton, aux États-Unis, mais aussi membre permanent de l'Institut des hautes études scientifiques (IHES) de Bures-sur-Yvette, dont les contributions couvrent l'ensemble de l'analyse moderne ; et un Russe, Efim Zelmanov, professeur à l'université de Chicago, algébriste de renom et l'un des meilleurs spécialistes de la théorie des groupes. Ce palmarès met une nouvelle fois à l'honneur l'école française de mathématiques : sur les 38 médailles Fields décernées depuis la création de cette récompense, 7 ont été attribuées à des Français et 2 à des Belges travaillant en France.
La découverte annoncée du quark top
La physique des particules représente un autre domaine de recherche fondamentale dont les avancées restent en général assez confidentielles. En 1994, toutefois, l'annonce par une équipe internationale travaillant au Fermilab (Fermi National Laboratory), près de Chicago, de la possible mise en évidence d'une particule élémentaire près de 200 fois plus lourde que le proton, le quark t (ou quark top), bénéficie d'un large écho. Sous réserve de confirmation, cette découverte comblerait en effet l'un des rares trous du « modèle standard », un édifice théorique forgé dans les années 1970 et qui permet de rendre compte de façon unifiée et assez satisfaisante de la structure ultime de la matière et des interactions fondamentales (hormis la gravitation). Autre découverte remarquable, quoique de portée plus limitée : au Grand Accélérateur national d'ions lourds (Ganil), à Caen, une équipe internationale de physiciens révèle qu'elle est parvenue à produire et à identifier des noyaux d'étain 100. Dans l'ensemble des quelques milliers de noyaux atomiques connus, certains sont dits « magiques », car ils possèdent des nombres de protons ou de neutrons (2, 8, 20, 28, 50, 82 et 126) qui leur confèrent des propriétés particulières. On en connaissait jusqu'à présent quatre (hélium 4, oxygène 16, calcium 40 et nickel 56) qui ont le même nombre de protons et de neutrons : qualifiés de « doublement magiques », ils ont une structure exceptionnellement stable par rapport à celles de noyaux de composition voisine. Avec ses 50 protons et ses 50 neutrons, l'étain 100 est désormais le cinquième noyau de ce type et le plus lourd. L'étude de ses propriétés pourrait se révéler utile pour mieux comprendre comment se forment les différents éléments chimiques dans l'Univers.
Feu vert pour l'accélérateur LHC
Les recherches sur la structure intime de la matière exigent des instruments de plus en plus puissants. Après l'abandon par les Américains, en 1993, pour des raisons financières, de leur projet d'accélérateur de particules géantes, le SSC, au Texas (v. Journal de l'Année, édition 1994), on attendait que les Européens décident, cette année, d'engager la construction du LHC (Large Hadron Collider), le grand collisionneur de hadrons en projet au Cern (Laboratoire européen pour la physique des particules), près de Genève. Cette machine doit, au début du siècle prochain, prendre la suite du LEP (Large Electron Positron collider), en utilisant le tunnel de 27 km de circonférence déjà creusé pour abriter ce dernier. L'enjeu, pour les physiciens, est immense : il s'agit d'atteindre une gamme d'énergie encore inexplorée et de recréer en laboratoire les conditions qui présidèrent aux premiers instants de l'Univers, après le big-bang. Personne ne conteste l'intérêt d'un tel appareil, mais son financement a fait l'objet de vives discussions entre les partenaires concernés. La principale pierre d'achoppement était le montant de la contribution supplémentaire demandée à la France et à la Suisse par l'Allemagne et la Grande-Bretagne, en raison de l'important retour économique dont elles bénéficient du fait de l'implantation du laboratoire sur leur territoire. Finalement, les représentants des 19 pays membres du Cern ont décidé à l'unanimité, le 16 décembre, de réaliser le LHC en deux temps. La première étape permettra à la machine de fonctionner dès 2003 à la puissance intermédiaire de 10 téraélectronvolts (TeV). Cinq années plus tard, elle parviendra, après l'apport d'aimants supplémentaires, au faîte de son énergie, ciblée à 14 TeV.