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L'année intermédiaire
« À quelques exceptions près, les films français présentés au Festival sont passés inaperçus et je le regrette. » C'est John Hegarty qui parle. Il est président du Festival international du film publicitaire de Cannes et cofondateur de l'agence anglaise Bartle Bogie Hegarty, mondialement connue pour ses campagnes qui ont rendu célèbre la marque de jeans Levi's.
Lanterne rouge
Alors que l'Espagne et la Norvège rejoignent une nouvelle fois le peloton de tête constitué par les États-Unis et la Grande-Bretagne, la production publicitaire française connaît le plus mauvais classement de son histoire depuis 1980. Aucun publicitaire en France n'imaginait que 1994 serait un bon cru. Mais la quasi-absence de la publicité française d'un palmarès incontesté et qui marque le retour en force des idées et de la créativité a eu l'effet d'un électrochoc. Et l'enjeu est de taille. Soit la publicité française se ressaisit et devient à nouveau une référence, soit elle se laisse aller et sera complètement dominée par les créations internationales.
Conscientes des efforts à fournir, beaucoup d'agences ont mené des réflexions de fond sur des sujets qui touchent le savoir-faire publicitaire. Ainsi, Alice et la société de sondages la Sofres se sont intéressées aux slogans et à leur impact. La Young & Rubicam s'est investie dans la recherche sur le cycle de vie des marques. Le réseau Leo Burnett, quant à lui, a mis en parallèle les spots récompensés pour leur créativité et les résultats en terme de vente. Il en ressort que près de 9 publicités primées sur 10 sont, chiffres à l'appui, également des succès commerciaux.
Maurice Lévy, le président de Publicis, tire les leçons des résultats désastreux de Cannes, où la France n'obtient que 4 Lions. « Nous faut-il aller vers plus d'internationalisation, et donc chercher à trouver à Cannes des récompenses qui illustrent bien le goût mondial, ou nous faut-il au contraire cultiver avec plus d'ardeur notre véritable terreau et tenter de faire pousser au-delà de nos frontières quelques-unes de nos grandes idées ? » Un peu plus tard, Christian Blachas, le directeur de CB News et présentateur de « Culture Pub », se dit « irrité par la frilosité affichée toujours par la majorité des grands publicitaires, qui ne veulent pas relancer le débat d'idées. Ils n'ont rien à dire. Mais, surtout, ils n'osent pas. De peur de déplaire a tel client, à tel média. Langue de bois totale. »
Le consommateur est toujours attiré par les marques, mais il les trouve trop chères. Avec la crise, le prix est redevenu un critère déterminant. En janvier, le groupe Nestlé lance Findus Petits Plats, des surgelés commercialisés au prix de 10 francs, seuil psychologique important. À Troyes, les grandes marques de vêtements ouvrent des magasins d'usine. Elles y vendent leurs anciennes collections avec des rabais de 30 à 70 % et connaissent un vif succès. C'est avec ce type de propositions que les marques s'adaptent aux nouvelles mentalités.
Quatre paramètres traduisent les qualités des marques : c'est l'enseignement de l'étude Brand Asset Valuator. « La différenciation, premier critère à apparaître, est la capacité de la marque à être considérée comme unique et singulière. La pertinence est sa capacité à convenir au consommateur. L'estime sera le critère permettant de savoir si la marque est appréciée ou non par le consommateur. La familiarité, ultime étape de la démarche, est la capacité d'une marque à être connue et reconnue à travers son nom et ses produits », explique Dominique Missoffe de la Young Rubicam.
Reprise ?
1994 restera comme une année intermédiaire pour la publicité en France. Pas encore totalement sorties de la crise, les agences se préparent néanmoins à la reprise économique. Si 40 % des annonceurs affirment qu'ils vont augmenter leur budget publicitaire en 1995, ils l'ont encore réduit de 2 % en 1994, selon les estimations de CB News.
BDDP, la jeune agence créée en 1984 et qui a connu un succès fulgurant grâce à la philosophie du « saut créatif » de Jean-Marie Dru, n'a pas réussi à traverser la crise. Après RSC&G en 1991 et FCA en 1993, elle doit elle aussi résoudre le problème d'un endettement excessif. « La pub française n'a plus de réseau indépendant », titrait à cette occasion l'hebdomadaire Stratégies. Pourtant, les fondateurs ont préféré opter pour la cession de 85 % du capital à un pool de banques et d'institutionnels plutôt que de se faire absorber par un groupe publicitaire concurrent.
Les obstacles
Par ailleurs, le secteur de la communication a été une nouvelle fois cette année dans la ligne de mire de l'État. Le gouvernement socialiste avait laminé la profession avec la loi Sapin, qui touche au financement des agences, et avec la loi Evin sur la publicité pour les alcools et le tabac. Le gouvernement d'Édouard Balladur, lui, a voulu soumettre la publicité à un projet de loi « relatif à l'emploi de la langue française ». « Ma loi va exciter la créativité », osait affirmer Jacques Toubon, le ministre de la Culture, dans Stratégies. Pourtant, l'objet était bel et bien de réglementer de manière drastique le vocabulaire utilisé dans la publicité, en établissant un dictionnaire des termes officiels de la langue française. Si, au bout du compte, il ne reste pas grand-chose de la loi car le Conseil constitutionnel en a limité le champ d'application aux seuls organismes publics, le ministre Jacques Toubon gardera par contre, pour longtemps, le surnom de « Mister Allgood ».
La relève
Malgré un contexte encore difficile, des expériences créatives, plus ou moins heureuses mais marquant un ton nouveau, se font jour. C'est le cas d'Orangina. La marque a demandé à Alain Chabat, du groupe comique Les Nuls, de délirer sur le thème qui a naguère fait le succès de la boisson : la bouteille qu'il faut secouer car la pulpe est au fond. Du coup, des hommes déguisés en bouteille d'Orangina dansent le sirtaki ou font un grand huit sur les montagnes russes. Grâce à leur humour décalé, ces films ont pulvérisé tous les scores d'impact de la société d'études Ipsos. Mais, à Cannes, face aux spots des autres pays, ils sont passés totalement inaperçus...