Journal de l'année Édition 1995 1995Éd. 1995

L'économie française en 1994

En octobre 1993, les instituts de conjoncture français manifestaient un optimisme mesuré, puisque, au regard d'une récession qui s'est avérée de – 1 % pour l'année 1993, ils pronostiquaient pour 1994 une reprise de 0,7 % en moyenne – 0 % selon l'OFCE –, alors que les prévisions officielles tablaient sur une expansion de + 1,4 %. Trois mois plus tard, les entreprises interrogées par sondage et la Banque de France prévoyaient une reprise plus forte. En octobre 1994, les évaluations convergent autour de 2,2 % en moyenne pour 1994 (3 % en glissement, d'octobre 1993 à octobre 1994) mais demeurent hésitantes sur l'ampleur de l'accélération annoncée pour 1995. En fait, l'économie française est devenue cyclique, et son sort est étroitement lié à celui de nos partenaires du continent européen.

Cette reprise doit beaucoup à la reconstitution des stocks et à nos exportations, mais peu à l'investissement. Les exportations augmentent de 5,9 % en volume en 1994 (5,5 % en valeur nominale) en raison de l'appréciation du franc vis-à-vis des monnaies autres que le Mark. L'investissement, qui avait diminué depuis 1990, reprend à un rythme à peine suffisant pour renouveler le capital productif, si l'on tient compte des déclassements qui interviennent chaque année à hauteur de 3-4 % du stock pour cause d'usure et de vieillissement. Ces investissements sont facilités par l'aisance financière retrouvée par les entreprises : leur taux d'autofinancement est supérieur à 100 %. La reprise a favorisé l'industrie manufacturière, mais non le logement : les mises en chantier sont repassées au-dessous du seuil des 300 000 logements en cours d'année. Les ventes agroalimentaires ont fléchi. La poursuite de la reprise dépend de la consommation privée. Or celle-ci a progressé de manière hésitante et sélective, et moins vite que le produit intérieur. Plusieurs éléments agissent en sens opposé. Les dépenses de consommation ont augmenté en moyenne un peu plus vite qu'en 1993 (+ 1,6 % au lieu de + 0,7 %), mais moins vite que le PIB (+ 2,2 %). Cela est dû en partie à la baisse du taux d'épargne des ménages, qui a culminé à la fin de 1992 (14,5 % du revenu), pour perdre deux points en 1994. Les allégements de l'impôt sur le revenu, limités à 13 milliards, et le triplement des allocations scolaires jouent dans le même sens. La prime Balladur a sans conteste stimulé les achats d'automobiles et les ventes des producteurs français, non sans perturber les marchés d'occasion. Mais, pour que les ménages continuent de puiser dans leur épargne, alors que, par ailleurs, on les sollicite pour faire des placements durables et pour acquérir des titres publics et des actions, il faudrait que le regain d'optimisme dont ils ont fait preuve depuis l'été 1993 soit justifié par la reprise de l'emploi. Qu'en est-il au juste ?

L'emploi a cessé de se dégrader (pendant l'été) et le chômage ne s'amplifie plus, si l'on en juge par l'ensemble des indicateurs, qui se sont retournés au cours de la période allant de juillet 1993 à mai 1994. Notre économie a, par exemple, connu une création nette de 117 000 emplois au premier semestre, principalement dans le secteur tertiaire marchand non public, notamment dans le secteur des services aux entreprises et plus spécialement dans les entreprises de travail par intérim. Toutefois, une rechute est intervenue en septembre ; les nouveaux emplois sont moins payés, l'ancienneté moyenne d'inscription à l'ANPE dépasse un an et continue d'augmenter, et le taux de chômage demeure à 12,6 % de la population active, très au-dessus de la moyenne générale de l'OCDE, qui est de l'ordre de 8,5 %. Et, avec les perspectives de croissance de 1995, auxquelles correspondrait selon l'INSEE une création nette de 150 000 emplois, la France ne sortira pas aisément des ornières du chômage. Cette situation continuera donc à peser sur la progression des revenus. En 1994, les salaires et les traitements bruts auront augmenté de 0,3 % en valeur nominale, contre 3,5 % pour le PIB en nominal. Le maintien de l'inflation à un niveau faible (1,7 %) a certes soutenu le pouvoir d'achat, mais l'augmentation plus que proportionnelle des impôts locaux, des taxes, redevances et tarifs d'abonnements publics réduit d'autant les disponibilités affectables à d'autres dépenses. L'effort supplémentaire qu'il faudra demander aux contribuables français en 1995 pour combler, notamment, le « trou de la sécurité sociale » n'est pas de nature à encourager la consommation. Par conséquent, les dépenses de consommation et d'acquisition de logement des particuliers ne relaient que mollement l'exportation et l'investissement.

Commerce extérieur

Pouvons-nous y suppléer en développant plus nos exportations ? Le fait que l'inflation soit contenue à un niveau inférieur à celui de tous nos partenaires, sauf le Japon, renforce notre compétitivité. Cela ne nous autorise pas pour autant à envisager une forte augmentation de l'emploi à la clé. Le progrès de nos exportations s'accompagne d'une ascension non moins marquée de nos importations (+ 6,6 % en volume, + 8,1 % en valeur nominale). De plus, la part des exportations françaises dans les exportations européennes a décliné en volume et en valeur depuis 1992. Le franc stable (par rapport au Mark) que garantit désormais le Conseil de politique monétaire installé en janvier vaut à nos industriels de grands avantages ; mais ils ont un prix : le franc est cher. De sorte que le taux de croissance compatible avec le maintien d'une balance courante équilibrée ne suffira pas à réduire fortement le chômage. Une politique monétaire indépendante, persévérante, menée avec compétence, ne tient pas lieu de politique économique à elle seule. Dans nos rapports commerciaux avec l'étranger, ce qui est en cause, c'est moins le fort contenu des importations en biens de consommation préférés par les Français et notre dépendance en biens d'équipement étrangers de haute technologie que l'insuffisante capacité des entreprises françaises à valoriser sur les marchés les gains de productivité qu'elles réalisent dans les productions où elles sont compétentes. Concrètement, nous manquons de l'imagination et de la persévérance commerciale requises pour vendre cher à l'étranger des produits que la rationalisation des procédés nous permet de réaliser à des coûts raisonnables. Les gains de productivité obtenus dans ces conditions se soldent par des suppressions de postes au lieu de déboucher sur des marchés fortement créateurs d'emplois. Le faible nombre d'entreprises exportatrices régulières, l'érosion de la petite et moyenne industrie sont des symptômes de cette faiblesse. Et les concessions que la France est contrainte à faire sous forme de transferts de technologie pour exporter des TGV en Corée du Sud réduisent la valeur de nos exportations nettes à un chiffre bien modique. Les pays de l'Est et l'Asie représentent des marchés dont le pouvoir d'achat, encore faible, est appelé à croître, ce qui réduira l'avantage que nous avons à importer des biens à bon marché de ces pays, mais augmentera nos débouchés potentiels. À la condition de suivre de très près leurs évolutions et d'y rechercher les occasions propices au développement des ventes destinées au grand public.

Déficits

Un autre problème structurel entrave notre croissance. Ce sont les déficits budgétaires accumulés d'année en année. Ils ont engendré une dette publique qui ne fondra pas spontanément sous le seul effet d'une bonne conjoncture. Ainsi, chaque année entre 1980 et 1994, les administrations publiques ont éprouvé un fort besoin de financement. De 1982 à 1986, ce besoin a oscillé entre 2,7 % et 3,2 % du PIB. Avec la reprise et l'expansion conjoncturelle de 1987-1989, il s'est réduit à 1,1 %. Mais, depuis lors, il a atteint des hauteurs dangereuses, et notablement supérieures à notre taux potentiel de croissance : 3,9 % en 1992 ; 5,8 % en 1993 ; 5,3 % en 1994. Alors que l'endettement intérieur total de l'ensemble des agents économiques – ménages, entreprises, administrations – progresse de moins en moins vite (10 % au début de 1991, 3 à 4 % en 1994), les administrations du secteur public sont en passe d'évincer les sociétés dans la collecte de l'épargne des ménages, et l'évolution des taux d'intérêt incite les sociétés à placer leurs capitaux en obligations d'État plutôt qu'en investissements productifs. Alors que de 1989 à 1991 les sociétés empruntaient pour investir à hauteur de 80 à 150 milliards de francs, depuis lors elles détiennent une capacité de financement qui contribue avec celle des ménages à absorber les titres de la dette publique.