Cela ne voulait pas dire pour autant que l'opinion était satisfaite de la coalition sociale-démocrate (SPOe) et conservatrice (OeVP) au pouvoir. Le 9 octobre, les électeurs donnent un sérieux coup de semonce au gouvernement du chancelier Franz Vranitzky : les sociaux-démocrates perdent 8,6 % de leurs suffrages et les conservateurs, 4,3 %, alors que le Parti libéral atteint 22,6 % des suffrages (améliorant son score de 6 points). L'ouverture sur l'Europe ne signifiait pas l'abandon des vieilles sirènes xénophobes et ne pouvait pas davantage masquer l'usure dans l'opinion des deux grands partis traditionnels. À cet égard, l'exemple italien de la coalition Berlusconi-Fini a influencé bien des électeurs. Pour autant, l'idée d'une coalition de droite homogène entre les conservateurs du vice-chancelier Erhard Busek et des néo-fascistes de M. Haider ne semble pas envisageable, tant l'opposition des deux formations sur l'intégration européenne est fondamentale. De fait, fin novembre, la coalition « rouge et noire » est reconduite, sous la houlette de M. Vranitzky, le conservateur Alois Mock gardant les Affaires étrangères.
Espagne
Sombre année pour Felipe Gonzalez. Tous les problèmes récurrents de l'Espagne reviennent à la surface, avec une intensité encore plus forte. La corruption d'abord. Déjà secoué par de nombreuses affaires au cours des années précédentes, le pays voit cette fois les plus hauts fonctionnaires et responsables politiques se suivre au ban d'infamie : l'ex-gouverneur de la banque centrale, puis les ministres de l'Intérieur et de l'Agriculture, puis, surtout, Luis Roldan, ancien directeur de la gendarmerie, en fuite et accusé de détournement de plusieurs dizaines de millions de francs. En novembre, c'est au tour du chef du gouvernement lui-même d'être éclaboussé ; on l'accuse d'avoir favorisé les affaires de son beau-frère. M. Gonzalez n'avait pas besoin de cela, alors que les nuages s'amoncellent sur l'économie espagnole. Un déficit public supérieur à 7 % du PIB et un taux de chômage à 24 % placent les responsables dans une position délicate. Au début de l'année, un bras de fer oppose le gouvernement et les syndicats sur le projet de réforme du marché du travail, ces derniers refusant d'accepter l'assouplissement des règles de licenciement et l'instauration de contrats d'apprentissage peu rémunérés pour les jeunes. Le gouvernement ne faiblit pas, ce qui provoque de nouvelles tensions au sein du parti socialiste (PSOE), miné par les affrontements entre « rénovateurs » pro-Gonzalez et « guerristes », favorables à la ligne de gauche défendue par Alfonso Guerra. La courte victoire aux élections de 1993 avait obligé M. Gonzalez à se rapprocher des autonomistes catalans et basques. Ceux-ci présentent la note : Jordi Pujol, président de la Généralité catalane, réclame avec de plus en plus d'insistance un renforcement de l'autonomie, tandis que les socialistes basques et leurs alliés nationalistes voient leur audience décroître aux élections en Euskadi.
Le PIB espagnol a diminué de 1 % en 1993. L'expansion redémarre doucement en 1994 et l'on prévoit une hausse de 3 % pour 1995. L'inflation frôle les 5 % et le déficit budgétaire atteint encore les 7 % du PIB. En octobre, Michel Camdessus, directeur général du FMI, préconise une réduction du niveau de la dette, une politique monétaire stricte pour contrôler l'inflation et une plus grande flexibilité du marché du travail pour remédier au taux de chômage qui atteint 24 %.
Le Di Pietro espagnol
Baltazar Garzon, le juge intègre, auteur de plusieurs enquêtes internationales sur la drogue, nommé secrétaire d'État en 1993, démissionne en mai, estimant que « Gonzalez [l'a] pris pour une marionnette et ne fait rien pour lutter contre la corruption ».
Portugal
Le « bon élève européen » ferait-il une rechute ? Le débat politique portugais s'est tout à coup durci en prévision des échéances électorales à venir. Le vingtième anniversaire de la « révolution des œillets » s'est transformé en un concert de litanies néoconservatrices, poussant l'ordinairement placide Premier ministre Anibal Cavaco Silva à exalter les valeurs traditionnelles et aussi à critiquer l'Europe, présentée comme une « menace à la souveraineté des États ». Ce raidissement s'explique sans doute par une mauvaise conjoncture économique qui a brusquement fait augmenter le chômage (aux alentours de 6 %) dans un pays jusque-là largement préservé de ce fléau.
Grèce
Alors que les Balkans continuent de s'embraser, la Grèce exalte ses passions récurrentes : religion d'État, méfiance envers ses voisins, complexe vis-à-vis de l'Europe, admiration pour la Serbie orthodoxe et son nationalisme exacerbé. Le moment est on ne peut plus mal choisi pour exprimer de telles pulsions, alors qu'Athènes entame en janvier ses six mois de présidence de l'Union européenne. Ce que l'on craignait devait se produire : le mandat hellène s'avère aussi problématique que prévu. En février, le gouvernement d'Andréas Papandréou décide d'un embargo du port de Salonique pour asphyxier la république de Macédoine, coupable à ses yeux de porter un nom hellène. Une telle décision à un tel moment ne peut qu'aller à rencontre du projet communautaire. En avril, pourtant, la Grèce entame un autre différend, avec son voisin albanais cette fois. La querelle porte sur le statut des Albanais d'origine grecque dont Athènes estime le nombre à 400 000, et Tirana, à 60 000 seulement. Athènes relance également sa querelle historique avec la Turquie, M. Papandréou dénonçant la « menace turque contre l'hellénisme ».