Chronique judiciaire : le procès des assises
Bien sûr, on ne saurait comparer les procès d'Omar Raddad et d'Élisabeth Cons-Boutboul avec celui de Paul Touvier. Il y a d'un côté deux affaires criminelles, mystérieuses mais somme toute classiques, et de l'autre le premier procès fait en France à un milicien, accusé et condamné pour complicité de crime contre l'humanité. Bref, la petite histoire contre la grande. Cependant, ces procès ont connu une couverture médiatique comme on en voit peu. De plus, par leurs verdicts contestés, par les étonnantes réactions qu'ils ont suscitées, tant en France qu'à l'étranger, par les débats qu'ils ont provoqués et surtout par la remise en cause de la vieille et classique cour d'assises qu'ils ont entraînée, les procès d'Élisabeth Cons-Boutboul et surtout d'Omar Raddad ont eu des résonances qui les dépassent.
L'affaire Omar
Près de quatre ans après son déroulement, l'affaire Omar n'a rien perdu de son mystère et La Chamade, la villa où s'est déroulé l'assassinat de Mme Marchall, garde toujours ses secrets. Pour qu'une affaire retienne à ce point l'attention du public, il faut que le crime lui-même pose problème, que les conditions en soient atroces, que la culpabilité ou l'innocence de l'accusé laisse place à l'équivoque. Mieux encore, on doit pouvoir soupçonner un éventuel coup monté, voire une machination, et le verdict – coupable ou innocent – doit être contesté. Au départ, l'affaire Omar (qui débute le 23 juin 1991) possède tous ces ingrédients, avec en plus un petit côté « Mystère de la chambre jaune ». Le procès, qui a lieu à Nice en février 1994, va les décupler. L'affaire se déroule à Mougins, au milieu des villas fleuries d'un quartier aisé. La Chamade, propriété de Mme Ghislaine Marchall, veuve du célèbre fabricant d'accessoires de voiture, est entourée de grilles et munie d'un système de sécurité. Il y a, bien sûr, des domestiques et un jardinier marocain. Pour les amateurs de mystères, il y a le problème classique du cadavre découvert dans un lieu en principe clos. Mais, surtout, il y a l'ultime et pathétique message laissé en principe par la victime, un billet d'adieu ou plutôt une dénonciation tracée avec son sang : sur la porte de la cave et sur les murs, des lettres sanguinolentes affirment « OMAR M'A TUER ». Argent, âge, classe sociale, éducation, sexe : tout sépare Mme Marchall de son jardinier. Aux enquêteurs, l'équation paraît simple : Omar égale Raddad. Dans la cave pleine de sang, les gendarmes pataugent, négligent de prélever avec soin le sang de la victime, oublient de vérifier si les doigts de sa main sont compatibles avec les lettres tracées. Plus grave, ils cafouillent en relevant les empreintes. À la maladresse des enquêteurs s'ajoutent les à-peu-près des médecins légistes, qui se trompent dans leurs comptes-rendus sur la date du décès. De limpide, l'affaire devient à jamais obscure et compliquée. Le syndrome d'Agatha Christie peut alors se déclencher et toute la France des Sherlock Holmes se passionne pour cette énigme de l'été.
Omar, en dehors d'un vif penchant pour les machines à sous des casinos, a une vie sans tache, un air sympathique, et il nie. Il leur paraît donc un coupable peu satisfaisant. Pour trouver d'autres solutions, on dépense des trésors d'imagination. Il y a ceux qui, comme Mes Baudoux et Girard, les premiers avocats d'Omar, croient que Mme Marchall a été contrainte d'écrire cette accusation par le véritable assassin et que la faute d'orthographe (TUER au lieu de TUEE) a été faite délibérément, comme un signe montrant qu'elle écrivait sous la contrainte. Il y a ceux qui, comme Me Jacques Vergès, l'actuel défenseur d'Omar, pensent que les inscriptions sont de la main de l'assassin. Une hypothèse hardie qui implique que le scripteur, au moment où il tuait Mme Marchall, savait qu'Omar ne serait vu par personne pendant cette période et ne posséderait donc aucun alibi.
Au mois de février 1994, le procès n'apporte aucune certitude, ni sur la nature de l'arme blanche qui a tué Mme Marchall, ni sur l'auteur du rébus sanglant, ni surtout sur la culpabilité d'Omar. « Ce procès est celui du doute, prévient Me Vergès. Si vous condamnez, il sera celui de la honte. » Mais le duel qui oppose deux ténors du barreau, Me Vergès, défenseur, à Me Henri Leclerc, partie civile, tourne en faveur de ce dernier : Omar est condamné à dix-huit ans de réclusion, un verdict très controversé. Et, depuis, la France se mobilise pour Omar et fait de ce procès une nouvelle affaire Dreyfus.