Sur le plan administratif, enfin, on voit émerger un nouveau découpage territorial et un nouvel échelon : le « bassin de vie », qui correspond un peu aux « pays » d'aujourd'hui, et qui doit fournir à l'État la base géographique, voire administrative, correspondant aux missions dont il a la charge. « Mais, ajoute le document de la DATAR, il faudra dresser, en coopération avec les collectivités concernées, la carte de ces nouveaux pays et, à partir de cette carte, revoir le découpage en arrondissements qui date de plus de 60 ans. » Une phrase qui a eu pour effet d'effrayer les élus locaux, notamment les conseillers généraux, qui, même s'ils s'en défendent, cherchent contre vents et marées à préserver « leur » territoire.
Les tiraillements entre, d'une part, la DATAR et, Charles Pasqua, qu'appuient de nombreux responsables UDF, et, d'autre part, plusieurs ministres RPR, ainsi que Bercy et le Premier ministre lui-même, se manifestent à l'occasion des réunions interministérielles d'arbitrage au printemps 1994. D'un côté on trouve les esprits les plus volontaristes, et de l'autre les plus circonspects. Excédé par les atermoiements de Matignon, Charles Pasqua ira même, à un moment, jusqu'à agiter la menace d'un départ du gouvernement si son projet, dans la dernière phase d'élaboration, est en définitive trop altéré.
Le 15 juin, le conseil des ministres approuve le projet de loi préparé par le ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire. Et, même si le texte est en recul par rapport à plusieurs versions originales qui ont circulé dans les ministères, le ministre d'État peut se targuer d'une « victoire ». Il a tenu les délais qu'il s'était fixés neuf mois auparavant à Mende. Ce n'était pas une mince affaire et le Parlement va pouvoir étudier le texte au cours de l'été, à l'occasion d'une session extraordinaire.
Ce texte prévoit des « directives » territoriales qui seront fixées par décret après avis des collectivités. En revanche, le projet de loi, tel qu'il a été voté en première lecture par l'Assemblée nationale, ne retient pas l'idée d'un schéma national d'aménagement, un document assez directif, annexé à la loi. Il en sera séparé et présenté au Parlement dans un délai d'un an à compter de l'adoption de la loi. Ce document, présenté quelques jours avant l'adoption du projet gouvernemental au conseil des ministres, avait provoqué un tollé car il esquissait une division de la France en sept grandes zones interrégionales, bousculant les limites administratives actuelles.
Parmi les principales dispositions de la loi, on retiendra : l'accroissement des pouvoirs des préfets sur les services des différents ministères par une politique plus active de déconcentration ; la présentation régionalisée du budget de l'État et l'incorporation des crédits européens ; la création de plusieurs fonds pour la péréquation des transports et la gestion de l'espace rural et pour le développement des petites entreprises ; le principe d'exonérations sur l'impôt sur les sociétés et les droits de mutation ; la suppression de la taxe professionnelle dans certaines zones prioritaires, rurales et urbaines ; l'effacement progressif des crédits que touche la seule Région Île-de-France au titre de la Dotation globale de fonctionnement (DGF), ce que la province dénonce régulièrement comme une injustice. La loi prévoit aussi de faciliter la coopération transfrontalière, une politique encouragée par l'Alsace et le Nord-Pas-de-Calais, et pose le principe du référendum d'initiative populaire pour les opérations d'aménagement à condition que 20 % des électeurs d'une commune le demandent.
Examiné au Sénat à partir de la fin octobre, le texte de Charles Pasqua a fait l'objet de nombreux amendements et compléments devant cette assemblée, le « grand conseil des communes de France » étant composé de plusieurs présidents de conseils généraux – le président du Sénat lui-même, René Monory, préside le conseil général de la Vienne – et étant traditionnellement très attentif à tous les sujets touchant de près ou de loin aux collectivités locales. Le Sénat a obtenu notamment le principe d'un rétrécissement progressif des écarts de richesses entre les régions (pas plus de 20 % de part et d'autre de la moyenne) dans les quinze ans à venir.
Selon une étude de I'INSEE publiée début janvier, les écarts de richesse entre les Régions se sont accrus entre 1982 et 1991. Le PIB a progressé de manière très inégale selon les Régions. En dix ans, le poids économique de l'Île-de-France s'est encore alourdi, puisque 29 % du PIB national y est localisé. De 65 % en 1982, l'écart entre le PIB par habitant de l'Île-de-France et celui des autres Régions est passé à 75 % en 1991.
Tous les contrats de plan État-Régions qui couvrent la période 1994-1998 avaient été signés, fin juillet. L'Île-de-France et Rhône-Alpes ont été les dernières Régions à signer. L'Auvergne, la Basse Normandie et Rhône Alpes ont vu, entre juillet 1993 et juillet 1994, au terme d'âpres négociations, leurs enveloppes de crédits d'État substantiellement augmentées. Mais, si l'on rapporte l'enveloppe des aides de l'État au nombre d'habitants dans chaque Région, et en mettant la Corse de côté, la collectivité la mieux servie est le Limousin, suivi du Nord-Pas-de-Calais et de la Basse-Normandie.
Le comité interministériel de développement et d'aménagement rural (CIDAR) s'est réuni fin juin à Bar-le-Duc et a arrêté la carte des zones rurales de développement prioritaire (qui intéressent 13 millions d'habitants) où seront concentrées les aides d'État.
Le comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT) s'est réuni à Troyes, le 20 septembre, sous la présidence du Premier ministre. Bruxelles ayant donné son feu vert, une nouvelle carte des « primes à l'aménagement du territoire » (PAT) a été approuvée. C'est dans le Massif central, les Vosges, certaines zones de Bretagne et du Nord que les aides aux créations d'emplois nouveaux sont les plus importantes.
Des chartes d'objectif sont conclues entre l'État et les villes de Rennes, Strasbourg, Brest, Lyon, Lille, Clermont-Ferrand et Toulouse. Par ces chartes, les élus locaux et l'État font concorder leurs objectifs prioritaires. Un plan de développement sur cinq ans, dénommé « Euroméditerranée », est décidé en faveur de Marseille (850 millions de francs apportés par l'État).
Les dépenses des conseils régionaux en 1994 devraient atteindre 68 milliards de francs, en augmentation de 12 % par rapport à 1993. Les Régions ont fait très largement appel à l'emprunt pour financer leurs investissements puisque ceux-ci atteindront 13 milliards, en hausse de 36 %. La fiscalité directe, elle, progresse de 16,5 %.
François Grosrichard
Grand reporter économique au Monde