Aménagement du territoire
L'image qui vient immédiatement à l'esprit des observateurs de la politique d'aménagement du territoire, au terme de cette année, est... culinaire : celle du soufflé qui, après avoir monté et gonflé magnifiquement, retombe progressivement devant les convives.
Le « Grand Débat »
Qu'on se souvienne, en effet ! À la mi-juillet 1993, à Mende, le gouvernement relance en grande pompe l'aménagement du territoire et annonce que, pendant les trois derniers mois de 1993 et les trois premiers de 1994, un grand débat va être organisé dans le pays, aussi bien auprès des institutions politiques et économiques que des associations et des citoyens de base eux-mêmes. Près de 30 millions de francs ont été prévus par la DATAR (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale) pour cette opération médiatique. Parallèlement, Édouard Balladur, Charles Pasqua et plusieurs autres ministres sillonneront le pays et aucune Région ne sera oubliée. Il faut savoir quelle France les Français – et notamment les jeunes générations – veulent à l'horizon 2000 et il faut que toutes les idées, toutes les suggestions, toutes les réformes, y compris les plus audacieuses, voire iconoclastes, se fassent jour. Mot d'ordre de Charles Pasqua : pas de tabou ! On peut tout dire, même si, bien sûr, tout ne sera pas retenu.
De fait, la période comprise entre octobre 1993 et avril 1994 ne laissera pas beaucoup de temps libre à Pierre-Henri Paillet, patron de la DATAR, homme de confiance du ministre d'État et cheville ouvrière du « Grand Débat ». Voilà que sont lancées des propositions qui font grand bruit : transférer un ou deux ministères entiers dans une ville de province, créer dans quelques Régions, notamment dans l'Ouest, des « DATAR décentralisées », organiser des référendums dans les petites communes, décentraliser davantage la politique de l'environnement au profit des départements et des Régions, moduler l'impôt direct sur le revenu selon que le « citoyen-contribuable » habite dans la vallée de la Sambre, où le taux de chômage dépasse 18 %, ou à Puteaux, particulièrement riche en taxe professionnelle. Certains vont jusqu'à proposer de retirer aux Régions leurs compétences en matière de lycées, qu'elles exercent pourtant à la satisfaction générale, et d'action économique, pour les transférer aux départements. Une initiative jugée officiellement « absurde » par Valéry Giscard d'Estaing, président de la Région Auvergne.
Pierre-René Lemas, qui était préfet de l'Aisne et avait été un proche collaborateur de Gaston Defferre et de Pierre Joxe au ministère de l'Intérieur, a été nommé en février 1994 directeur à la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), en remplacement de Noël Lebel. Il est devenu, de la sorte, le numéro 2 de la DATAR, et, avec Jean-Louis Guigou, lui aussi directeur, le collaborateur le plus direct de Pierre-Henri Paillet.
La politique de transferts en province et en banlieue de plusieurs services publics est relancée début septembre. À terme, quelque 10 000 emplois administratifs sont concernés. Parmi les principaux transferts, on note l'École supérieure du génie militaire à Angers, la sous-direction de la police technique et scientifique dans l'agglomération lyonnaise, l'École nationale d'administration pénitentiaire à Agen.
Une loi controversée et amoindrie
Après cet utile brassage libératoire, la DATAR a été conduite à élaborer une synthèse de toutes les suggestions qui s'étaient exprimées. Elle l'a fait en avril, dans un « document d'étape » qui dessine une France « à la fois plus équilibrée et plus compétitive ». Ouvrage de référence illustré par de nombreuses cartes, il constitue ainsi la « matière première » de ce qui servira pour l'élaboration du projet de loi d'orientation et de développement du territoire.
Mais ce document apparaît à beaucoup soit trop orienté (il fait la part belle aux campagnes et semble beaucoup trop « ruraliste » aux yeux du puissant lobby des grandes villes, conduit par un homme influent, Dominique Baudis, maire de Toulouse), soit trop hexagonal (la dimension européenne du sujet n'est vraiment perceptible qu'en introduction), soit trop ambitieux (à propos de la péréquation fiscale), ou trop lourd de promesses (qui se traduiront inévitablement par des dépenses supplémentaires, ce qui fait peur à Bercy).