L'ordre et le désordre du monde
Dans un monde encore secoué par l'onde de choc que déclencha, il y a quatre ans, la chute du mur de Berlin, 1993 aura été l'année de tous les contraires.
L'accord de paix au Proche-Orient est un des indices annonçant que l'humanité trouvera, avec le nouveau siècle, son nouvel équilibre. Mais, inversement, l'enlisement du conflit yougoslave comme la surprenante percée de l'extrême droite en Russie font dire aux pessimistes que, partout, l'instabilité l'emporte. Les deux thèses sont justes. Il faudra du temps et d'innombrables cahots pour passer du système bipolaire de Yalta à la mosaïque multipolaire qui devrait être la norme de l'an 2000. En 1993, l'ordre et le désordre ont été les deux faces d'une même réalité.
Espace libre pour la paix
C'est bien l'écroulement de l'URSS qui a permis la « paix des braves » entre Israéliens et Palestiniens. Tant que Yasser Arafat était assuré de la protection de Moscou, il pouvait croire qu'il finirait par rejeter les Juifs à la mer, comme Saladin, jadis, effaça de la carte le royaume chrétien de Jérusalem. Tant que l'OLP était adossé à la puissance du Kremlin, les Israéliens, même soutenus par Washington, n'avaient pas de raison de tenter le pari de l'ouverture. Trop conscients que, s'ils perdaient la paix, ils risquaient de perdre leur État.
Maintenant que les États-Unis sont la superpuissance unique, ils dominent le Proche-Orient. Le fait que, le 13 septembre, Yasser Arafat et Yitzhak Rabin se soient serré la main sur le perron de la Maison-Blanche symbolise cette redistribution des cartes.
La disparition de la menace soviétique est aussi une des explications au retournement de l'Afrique du Sud. Comme les Israéliens, les Blancs n'avaient plus à craindre de baisser la garde. Comme les Palestiniens, les Noirs ne pouvaient plus s'en tenir à la tactique du tout ou rien. L'apartheid liquidé, le moment du compromis était venu. Résultat : en octobre, Frederik De Klerk, le président sud-africain, et Nelson Mandela, le chef de l'ANC, la principale organisation noire, recevaient ensemble le prix Nobel de la paix.
Le Cambodge est un autre bénéficiaire de la faillite du communisme. Les Khmers rouges n'ont pas réussi à saboter les élections du 25 mai, qui, sous la surveillance de 20 000 soldats de l'ONU, donnèrent la victoire aux partisans du prince Sihanouk. Épuisés par vingt ans de guerre et traumatisés par les tueries de Pol Pot, les Cambodgiens ne se sont pourtant pas laissé intimider.
Après sept ans de négociation, l'heureux dénouement du GATT ne se résume pas seulement à une réduction universelle des tarifs douaniers. Il démontre la conversion de l'ensemble de la planète, y compris l'immense Chine encore marxiste, aux règles du marché. La façon dont la France a défendu le particularisme de ses intérêts agricoles ou l'identité culturelle de l'Europe face au rouleau compresseur des films de Hollywood ne remet pas en cause ce postulat. Si Bill Clinton et le gouvernement français se sont fait des concessions réciproques, c'est pour préserver l'essentiel : la force unificatrice que constitue l'adhésion de l'humanité à la doctrine de l'économie libérale.
Cette convergence n'est pas contredite par la division du monde en grandes régions organisées. La bataille du GATT a confirmé que, toute seule, la France n'aurait rien pu faire. Si, devant une Amérique tentée par l'hégémonie depuis l'écroulement de l'URSS, elle est parvenue à faire entendre sa voix, c'est comme champion d'une Europe unie dont le socle demeure le couple franco-allemand. Mais, à l'avenir, il faudra aussi compter avec l'ALENA, la zone de libre-échange nord-américaine, ce gigantesque marché « du Yukon au Yucatán », associant États-Unis, Mexique et Canada, dont, le 17 novembre, la Maison-Blanche a arraché la ratification par le Congrès.
L'APEC, l'Association pour la coopération économique de l'Asie-Pacifique, a choisi le même chemin. Au lendemain du vote de l'ALENA, les quinze membres de l'APEC se réunissaient pour un premier sommet à Seattle. Acte était officiellement pris de la montée en puissance de l'Asie. Avec au premier rang des futurs Grands du xxie siècle le Japon et, surtout, la Chine.
En avant, en arrière
Revers de la médaille : chaque succès est corrigé par un échec. Trois mois après la signature de l'accord sur Gaza et Jéricho, Yitzhak Rabin doit en reporter la première étape. L'offensive terroriste de Hamas, le mouvement islamiste, a rendu impossible le retrait de l'armée israélienne.