Un épisode de plus dans l'assaut tous azimuts que les fondamentalistes semblent avoir lancé contre l'infidèle. Même les États-Unis sont frappés. Le 26 février, le World Trade Center, au cœur du quartier des affaires de Manhattan, est la cible d'un attentat intégriste qui fait six morts et un millier de blessés.
En Égypte, la police mène de véritables opérations de guerre pour nettoyer les repaires intégristes dans les quartiers les plus défavorisés du Caire et en Haute-Égypte. En vain. Les attentats contre les touristes étrangers, source essentielle de devises pourtant, se poursuivent.
En Algérie, le pouvoir n'est pas moins désemparé. Le 24 octobre, trois fonctionnaires du consulat de France à Alger sont enlevés en plein centre de la capitale. Ils sont vite libérés. Mais les étrangers commencent à partir, et l'assassinat, en décembre, de douze Croates qui travaillaient sur un chantier va transformer ce repli en exode. C'est la même tactique qu'en Égypte : il s'agit de ruiner l'économie du pays pour achever de couper la population du pouvoir.
Partout dans le tiers-monde, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Fanatiques religieux ou simples démagogues, les apprentis sorciers ne font qu'exploiter les frustrations de populations désespérées par la misère. C'est bien le cas en Afrique noire qui, depuis qu'elle n'est plus un enjeu entre l'Est et l'Ouest, semble rayée de la carte.
L'Europe, si calme au temps du partage de Yalta, a renoué, en Yougoslavie, avec des horreurs sans précédent depuis Hitler : épuration ethnique, massacres, camps de concentration. Le conflit triangulaire qui oppose Serbes, Croates et Musulmans n'est pas près d'être réglé. En mars, les parachutages massifs de l'aviation américaine pour ravitailler les enclaves musulmanes en Bosnie avaient paru annoncer un tournant. De même, lorsque le général Philippe Morillon, commandant des troupes de l'ONU en Bosnie, était allé s'enfermer dans le village de Srebrenica pour forcer les Serbes à laisser passer les convois humanitaires.
Mais le plan de paix, péniblement concocté par Cyrus Vance et lord Owen, capote en mai. En novembre, une initiative franco-allemande n'aura pas plus de succès. Les Douze sont réduits à l'impuissance. Ils n'osent ni intervenir pour imposer un règlement par la force ni retirer les Casques bleus. Comment les peuples de la CE pourraient-ils ne pas douter des vertus de la construction européenne ?
Pour l'Europe, c'est la Russie qui représente le plus grand danger de déstabilisation. La marche vers la démocratie s'y révèle de plus en plus chaotique. En octobre, Boris Eltsine, contesté par les députés qui tentent même un putsch, fait taire le Parlement en le bombardant. Le deuxième acte se joue avec les législatives du 12 décembre. Les électeurs approuvent la nouvelle Constitution, qui renforce l'exécutif aux dépens du Parlement. Mais Eltsine est surpris par la percée de l'extrême droite dont le chef, Vladimir Jirinovski, a séduit par un discours populiste aux accents rappelant souvent le fascisme. La population, désemparée, a voulu protester contre des réformes économiques trop brutales. Il faut espérer que le président russe aura compris la leçon.
L'Italie vire elle aussi vers les extrêmes. Aux municipales de novembre, les anciens communistes et les néofascistes arrivent en tête. La Démocratie chrétienne et les socialistes sont laminés, punis pour la corruption dont les magistrats ont révélé l'effarante ampleur.
Même les États-Unis doivent s'avouer que leur statut exaltant de superpuissance unique ne leur donne pas les clés de l'équilibre du monde. Mal guérie du syndrome vietnamien, elle renâcle devant les périls de l'aventure extérieure.
Georgi Arbatov avait pourtant prévenu. En 1988, au moment où l'URSS entrait dans la perestroïka, ce conseiller de Gorbatchev avait lancé aux Occidentaux : « Nous vous préparons quelque chose de terrible. Nous allons vous priver d'ennemi. »
Charles Lambroschini
Rédacteur en chef au Figaro, responsable du service de politique étrangère