Bilan diplomatique du gouvernement
Une cohabitation harmonieuse
Contrairement à ce qui s'était produit lors de la première expérience de « cohabitation » en France (1986-1988), la politique étrangère a été en 1993 l'un des domaines où la concertation et la coopération entre la présidence de la République et le gouvernement ont été le plus harmonieuses. Autant l'Élysée et Matignon s'étaient querellés sous le gouvernement de Jacques Chirac – moins d'ailleurs pour des raisons de fond que parce qu'ils se disputaient les prérogatives –, autant on a veillé de part et d'autre, après l'arrivée d'Édouard Balladur à la tête du gouvernement, à maintenir vis-à-vis de l'extérieur l'image d'une France unie et parlant d'une seule voix.
Cette harmonie n'était pas garantie d'avance. Depuis la fin des années 80, la politique étrangère avait en effet cessé d'échapper aux polémiques partisanes, et l'opposition ne s'était pas privée de critiquer la diplomatie menée par François Mitterrand à l'heure des grands bouleversements à l'Est. Les élections législatives de mars 1993 avaient d'autre part envoyé à l'Assemblée nationale une énorme majorité UDF-RPR, au sein de laquelle étaient légion les députés réputés « anti-Maastricht », plus soucieux de défendre les intérêts nationaux immédiats que les intérêts collectifs européens. Plusieurs dirigeants du RPR avaient en outre pendant la campagne électorale vivement contesté l'idée du « domaine réservé » et même de la prééminence du président de la République en politique étrangère.
Cependant, dès qu'est annoncée la composition du nouveau gouvernement, dirigé par Édouard Balladur, il est clair qu'une certaine continuité va prévaloir, en particulier sur les questions communautaires. Cette équipe compte en effet dans ses rangs, à des postes clés, des partisans convaincus de la construction européenne. L'UDF, pro-européenne, y est largement représentée. Parmi les membres RPR du gouvernement, Édouard Balladur et Alain Juppé, qui devient ministre des Affaires étrangères, ont pris position sans ambiguïté pour le traité de Maastricht, six mois plus tôt, lors de la campagne pour le référendum de septembre 1992.
Ce gouvernement ne doit pas moins tenir compte de la composition de sa majorité à l'Assemblée, de même qu'il doit s'efforcer de se démarquer du gouvernement précédent, y compris en politique étrangère, en prétendant faire mieux. Ces nécessités se traduisent dans les premiers mois par un ton nouveau à l'égard de l'Allemagne. Alors qu'est largement répandue dans l'opinion l'idée que les taux d'intérêt trop élevés pratiqués par la Bundesbank étranglent la France, les nouveaux dirigeants français, délaissant les effusions à la gloire et à l'amitié franco-allemande, adoptent avec Bonn une attitude plus réservée. Ils commettent aussi quelques impairs, en laissant entendre par exemple qu'ils peuvent influencer la politique de la Bundesbank par un langage de fermeté. Il faudra la crise monétaire et celle du GATT pour que se résolve sans équivoque, après plusieurs mois, une alliance franco-allemande admise de part et d'autre comme la voie de la raison. Les inflexions de la politique étrangère française se traduisent également par les retards que Paris impose à la mise en œuvre des accords de Schengen sur la libre circulation des personnes entre neuf pays de la Communauté. À l'origine de ces retards se trouve, outre des raisons techniques (la constitution du fichier informatisé des polices européennes), la campagne que Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, mène contre l'immigration clandestine, de même que certaines tentatives relevant de la politique intérieure et qui devaient finalement déboucher sur une révision de la Constitution française à propos du droit d'asile.
La continuité de la politique étrangère
Sur la plupart des dossiers de politique étrangère, le gouvernement Balladur s'inscrit dans la continuité, le changement le plus perceptible étant de ce fait surtout un rééquilibrage des prérogatives au profit de Matignon et du Quai d'Orsay, tandis que la présidence, systématiquement consultée et associée aux décisions, observe une relative réserve. C'est le cas pour la politique française en Afrique, le nouveau gouvernement s'efforçant cependant de réclamer davantage de rigueur aux partenaires africains dans la gestion de l'aide. C'est le cas aussi au Proche-Orient : la France, qui n'a guère pris part au processus de paix, reçoit les dirigeants israéliens et, en octobre, Yasser Arafat, et plaide, au sein de la Communauté, pour que ce processus soit soutenu financièrement. C'est le cas enfin pour des dossiers qui a priori auraient pu paraître plus conflictuels, comme la politique face à la guerre en ex-Yougoslavie, qui avait été critiquée par l'opposition avant les élections.